Fibres, FODMAPs… La production de gaz dans l’intestin doit certes être contrôlée en cas de syndrome de l’intestin irritable (SII). Mais l’objectif ne consiste pas à supprimer toute fermentation, au risque de nuire au microbiote intestinal… et au SII !
Le syndrome de l’intestin irritable est devenu une maladie chronique très fréquente. Elle affecterait 4,1 % de la population mondiale, et grimperait même jusqu’à 11 % la population de pays occidentaux 1,2. Bien que son origine reste floue, ces dernières années ont permis de mettre en évidence plusieurs facteurs physiopathologiques importants, en particulier les troubles de la régulation de l’axe cerveau-intestin, l’augmentation de la sensation viscérale, l’altération de la fonction motrice et sécrétoire des intestins, les troubles de la composition du microbiote intestinal et les antécédents de diarrhée infectieuse (syndrome du côlon irritable post-infectieux). Les troubles psychiatriques sont très fréquents, avec une prévalence de 70 à 90 % chez les patients souffrant du SII.
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La diététique a fait fausse piste
Pour soulager les douleurs abdominales, l’approche diététique a pendant longtemps privilégié des régimes qui consistaient à limiter la production de gaz, donc l’ingestion de substrats fermentescibles. Mais c’était sans connaitre le rôle et l’importance du microbiote intestinal dans cette affection. Car désormais, il est clair que ce dernier, notamment au travers de la production d’acides carboxyliques à chaine courte, et en particulier le butyrate, a tout intérêt à être « nourri ». Et cette nourriture, ce sont des substrats fermentescibles… C’est notamment pour cette raison que les fibres solubles, qui sont largement fermentées dans le côlon, générant notamment du butyrate, sont désormais chaudement recommandées en cas de SII. Différents glucides non digestibles sont à l’origine de la production de butyrate : l’amidon résistant, les polysaccharides non amylacés, l’inuline, l’oligofructose, le lactose et le stachyose.
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Le rôle clé du butyrate
Le butyrate semble jouer un rôle important dans le SII. On sait qu’il a un une forte activité trophique sur l’épithélium intestinal : il représente environ 70 % de l’énergie qui alimente les cellules épithéliales. En stimulant la croissance et la maturation des cellules de l’épithélium intestinal, il favorise la reconstruction de la muqueuse et la restauration de son effet barrière. Il favorise en outre la réabsorption d’eau et de sodium.
La production d’acides gras à chaine courte par la fermentation colique va également modifier le pH du milieu, ce qui façonne la composition du microbiote intestinal, en rendant notamment le milieu hostile au développement de micro-organismes potentiellement pathogènes, ou moins favorables.
Certains auteurs ont même émis l’hypothèse qu’une production insuffisante de butyrate pourrait être à l’origine du développement du SII…
L’administration de butyrate de sodium encapsulé à des patients atteints du SII s’est montrée efficace pour améliorer de façon significative la sévérité des symptômes, avec une réduction de la douleurs abdominales, des flatulences, de la diarrhée, de la constipation, de l’urgence d’aller à selle, des nausées et des vomissements2.
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La production de butyrate est salvatrice
En 2022, une vingtaine d’experts ont publié un consensus sur le SII, après avoir passé en revue 78 affirmations portant sur l’étiologie, le diagnostic et le traitement. Le document reprend les 50 affirmations pour lesquelles au moins 80 % des voix a été réunis, parmi lesquelles 8 concernent l’alimentation. Les experts se sont notamment accordés sur le fait que la consommation de fibres solubles figurait parmi les soins de première intention, au même titre que l’adaptation du mode de vie et la prise de spasmolytiques.
Un autre sujet examiné concernait celui du régime pauvre en FODMAP (Fermentable oligo-di-monosaccharides and polyols). Le lactose, qui en fait partie, peut effectivement contribuer à la sévérité des symptômes, mais c’est loin d’être systématique. Le consensus remet ainsi les points sur les « i », en précisant que tous les symptômes du SII ne sont pas attribués au lactose, et, surtout, que l’incidence de la malabsorption du lactose dans le SII est comparable à celle des sujets contrôles. Le fructose, un autre FODMAP, a aussi été examiné par le groupe d’experts. Il en ressort que le test à l’hydrogène pour la malabsorption du fructose n’est pas fiable ni utile. Les résultats qu’ils donnent ne sont pas en phase avec les améliorations qui peuvent être observées lors d’une alimentation à teneur réduite en fructose.
Rappelons que l’éviction des FODMAP se fait pour une certaine période (2 mois), et qu’il ne doit pas être maintenu s’il n’y a pas d’amélioration. S’il y a une amélioration, on réintroduit peu à peu des aliments en fonction de la tolérance, pour tendre vers une alimentation la plus diversifiée possible.
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Gluten ou pas gluten ?
Le gluten est souvent visé en cas d’IBS. Et de fait, il existe chez certaines personnes atteintes du SII une sensibilité au gluten non cœliaque. Dans ces cas, un régime sans gluten, ou même simplement pauvre en gluten, peut entraîner une amélioration des symptômes. Néanmoins, le consensus explique que même si certaines études randomisées contrôlées ont conclu que l’éviction du gluten améliorait les symptômes chez les personnes avec un SII ou une hypersensibilité au blé, il se pourrait que ce soient les FODMAPs tels que les fructanes qui soient un facteur causal.
Cette hypothèse se vérifie d’ailleurs dans une étude d’intervention menée auprès de personnes souffrant du SII. Elle a montré que du gluten consommé en aveugle dans un pudding n’a en rien aggravé les symptômes, alors que les puddings avec FODMAP et sans gluten ont entraîné une légère aggravation des symptômes3.
Le groupe d’experts met aussi en garde sur le fait qu’à long terme, l’éviction du gluten risque d’entraîner une augmentation des glucides extrinsèques non laitiers, une diminution des polysaccharides non amylacés, avec une réduction des apports en magnésium, fer, zinc, manganèse, sélénium et folate. Pour toutes ces raisons, le consensus (à 85 %) ne recommande pas d’initier une alimentation sans gluten chez les patients avec un SII.
Enfin, les probiotiques ont également été passés en revue dans ce consensus, et il en ressort que les experts s’accordent à 80 % sur le fait que des « probiotiques sélectionnés » peuvent avoir une utilité en cas de SII.
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Sources
- Kindt T et al. Belgian consensus on irritable bowel syndrome. Acta Gastro-Enterologica Belgica 2022; 85. DOI 10.51821/85.2.10100
- Lewandowski K et al. Prz Gastroenterol 2022;17(1): 28-34.
- Nordin E. et al., Am J Clin Nur 2021;nqab337.