La dénutrition sévit souvent insidieusement chez la personne âgée et dans le traitement du cancer, et aggrave tout pronostic. Nourrir est un objectif préventif et thérapeutique à part entière. Rencontre avec Hélène Lejeune, présidente de l’Union Professionnelle des Diététiciens de Langue Française (UPDLF) et responsable du Groupe des diététiciens en gériatrie, qui nous parle de la dénutrition.
La dénutrition survient lorsque les apports alimentaires sont insuffisants pour couvrir les besoins nutritionnels. Elle peut toucher les adolescents et les jeunes adultes souffrant d’anorexie, les personnes souffrant de pathologies sévères (cancer…), y compris les enfants, les personnes âgées. Mais c’est surtout en surtout gériatrie et en oncologie que se pose l’épineux problème de la dénutrition, précise Hélène Lejeune. En gériatrie tout particulièrement, c’est une spirale infernale : plus on se dénutrit, plus on est mal, et plus on se dénutrit. La dénutrition survient presque naturellement avec l’âge, notamment parce que le seuil de satiété est plus bas, et qu’il y a de nombreux facteurs qui freinent l’anabolisme. En clair, chez la personne âgée, il faut plus de calories et de protéines pour produire 1 kg de masse cellulaire active.
Découvrez l’infographie : La dénutrition chez les personnes âgées, comprendre et agir.
In frigo veritas
La dénutrition est fréquente à l’hôpital, dans les maisons de repos, mais aussi à domicile, où elle est particulièrement méconnue, souligne la diététicienne. Elle est souvent associée à des facteurs sociaux et environnementaux, dont l’isolement, l’impossibilité de faire ses courses, de cuisiner, le fait de ne pas avoir de familles pour venir en aide…Les apports diminuent, et cela se reflète par un frigo de moins en moins achalandé. « in frigo veritas » : la simple vue du contenu du réfrigérateur et des placards – permet de mettre la puce à l’oreille sur le risque de dénutrition, y compris à un stade précoce. L’isolement social joue un rôle important. Il est évident que lorsque la personne âgée est entourée d’un ou de plusieurs convives, elle mange mieux.
Un autre problème, ce sont les revenus financiers. On a beau dire, mais bien manger coûte cher ! Et il n’est pas rare pour certaines personnes d’hésiter entre se soigner et se nourrir… OU encore de devoir faire le choix entre se nourrir ou nourrir son animal de compagnie. Les animaux de compagnie ont certes un effet bénéfique pour la personne âgée isolée, c’est un antidépresseur majeur, souligne Hélène Lejeune. Mais parfois, l’animal prive l’Homme, et il n’est pas de rare de retrouver la partie protéique d’un plat dans la gamelle du chien !
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Fourchette et santé mentale
Sciensano attirait récemment l’attention sur le problème grandissant de la santé mentale, en particulier anxiété et dépression, auprès de la population. Les aînés n’y échappent pas, loin de là. Or, le premier signe d’une dépression, avertit Hélène Lejeune, c’est la perte d’appétit.
De nombreux autres facteurs sont impliqués dans la réduction des ingestats : les troubles de l’orientation, de la déglutition, la difficulté à mastiquer qui amène à ne plus manger de végétaux crus (ce qui met à mal l’apport en vitamine C notamment), à ne plus manger que de la viande sous forme hachée (souvent de moins bonne qualité nutritionnelle, entre autres parce qu’elle apporte plus de matières grasses et moins de protéines). Le maintien d’une activité physique est aussi un facteur important pour garder l’appétit, et donc continuer à s’alimenter suffisamment.
Médicaments et appétit
Un autre problème, c’est celui de l’impact énorme de la polymédication sur l’appétit, poursuit Hélène Lejeune. Il faut absolument conscientiser les médecins généralistes sur l’impact négatif que peuvent avoir certains médicaments sur l’appétit et, le cas échéant, adapter la médication. Le groupe des diététiciens en gériatrie a d’ailleurs développé un compendium des médicaments et de leurs effets sur la prise alimentaire. Il peut être consulté ici.
En oncologie, on retrouve souvent une composante inflammatoire forte, qui a de nombreuses répercussions : déclenchement de signaux anorexigènes, perte musculaire, mobilisation des réserves graisseuses… La radiothérapie peut provoquer un véritable cataclysme, avec nausées, vomissements, diarrhées… Il est essentiel de bien expliquer au patient à quel point il est important de surveiller l’évolution de son poids. Une perte de poids involontaire est toujours un signal alarmant, comme une perte involontaire d’appétit.
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Non au végétalisme !
La chimiothérapie a notamment comme effet secondaire de modifier le goût, avec souvent l’apparition d’un goût métallique, de modifier les préférences alimentaires dans un sens qui n’est pas très propice au maintien d’une alimentation équilibrée, suffisamment riche en protéines. C’est particulièrement le cas des protéines animales, moins prisées alors qu’elles sont mieux assimilées que celles de source végétale. Quant au végétalisme, il est à fuir dans la lutte contre la dénutrition. Le coefficient d’utilisation digeste est déjà moins bon que pour les protéines animales, mais il est encore diminué lors des traitements oncologiques. Les laitages et les œufs sont très utiles, car ils sont bien acceptés. Et il faut arrêter de dire aux gens que le jus d’avoine est équivalent au lait. D’autant qu’avec une chimiothérapie, la cortisone accélère l’ostéoporose, et qu’il faut donc renforcer les apports en calcium et vitamine D.
Pour conclure, il faut insister sur le fait que la dénutrition est une maladie très grave, avec des conséquences directes (coût de traitement, d’hospitalisation, durées, récurrence d’hospitalisation) et indirectes (allonge la durée des maladies, ne permet pas de travailler). C’est en réalité la plus grave des maladies !
La semaine de la dénutrition a lieu du 6 au 11 novembre 2023.