Les affections cardio-vasculaires sont la première cause de décès de la femme, bien avant les cancers. Comment l’expliquer ? Peut-on y remédier? Réponses d’Angela Maas (Pays-Bas) et d’Agnès Pasquet (UCL) lors la réunion annuelle de la Société Belge de Cardiologie*.
Et le problème ne va pas se résoudre de sitôt si l’on en croit les statistiques américaines qui montrent un déclin de la mortalité cardiovasculaire chez l’homme, alors qu’elle reste stable chez la femme depuis 1980. Pire, la prévalence des infarctus du myocarde chez la femme d’âge moyen ne cesse d’augmenter, contrairement à ce que l’on observe chez l’homme.
Plusieurs facteurs expliquent la majoration actuelle du risque féminin, dont le premier est certainement la détérioration de l’hygiène de vie marquée par une alimentation trop riche et trop abondante. On peut rappeler ainsi que l’obésité abdominale est l’un des facteurs de risque principaux des maladies cardio-vasculaires, et que plus d’une américaine sur 3 (une sur 4 en Europe) est en net surpoids. Mais ce n’est pas la seule explication.
Il faut savoir que les femmes sont protégées en théorie par leurs estrogènes, raison pour laquelle elles déclenchent leur maladie cardio-vasculaire 7 à 10 ans plus tard que l’homme (elles ont donc pu cumuler plus de facteurs de risque), tandis que les symptômes des maladies coronariennes aigües de la femme sont aussi très différents et donc plus difficilement diagnostiqués que chez l’homme. Par ailleurs, même avant 65 ans, alors qu’elles sont théoriquement plus protégées, la mortalité coronarienne est plus élevée que chez l’homme, alors qu’elles présentent moins de lésions et ont moins de symptômes, ce qu’on appelle le ‘paradoxe féminin’.
Un risque accru
Les femmes sont également plus fréquemment hypertendues et généralement plus stressées que l’homme. Leur cœur est donc différent, ce que les autopsies confirment en montrant que la femme a plus fréquemment une hypertrophie ventriculaire gauche, ce qui limite la perfusion sanguine en périphérie au niveau des artères coronaires. Sur le plan biologique, outre la plus grande fréquence d’un diabète de type 2 et d’un syndrome métabolique, leur taux de triglycérides est plus élevé et le taux de HDL-cholestérol plus bas (avec des LDL plus élevés après la ménopause), ce qui représente un risque athérogène majeur. Ce risque est également majoré par les anomalies de la coagulation, plus souvent rencontrées chez la femme. Elle a donc tout pour être plus à risque.
Et cette constatation se double du fait que les symptômes sont différents et généralement moins aigus, moins rapidement perçus comme étant ‘dangereux’ (la femme a l’habitude de ‘souffrir’), ainsi que du fait que les traitements et interventions qu’elle subit sont moins ‘réfléchies’, et que les examens para-cliniques (ECG, etc.) sont moins fiables chez elle.
Pas de douleur dans la poitrine
Dans ces conditions, on comprend que le délai entre l’apparition des symptômes et le moment où une hospitalisation ou une intervention médicale est programmée est plus conséquent, et reste important, malgré l’évolution des techniques diagnostiques (alors qu’il a diminué chez l’homme au cours de la dernière décade). Dans cette mesure, les spécialistes insistent pour que la femme se pose des questions en présence de certains symptômes d’alerte.
Symptômes d’alerte
- Douleur dans le haut du dos entre les omoplates
- Douleur dans les mâchoires, à la gorge ou dans la nuque
- Haleine courte
- Symptômes grippaux, nausées et vomissement, sueurs froides
- Fatigue ou affaiblissement généralisé
- Sensation d’anxiété, peur de mourir, perte d’appétit, inconfort
Une fois l’infarctus diagnostiqué, la femme court également plus de risques d’en décéder, quel que soit son âge, ce que les spécialistes expliquent par le fait que les plaques d’athérosclérose sont, chez elle, très souvent érodées (même lorsqu’elles sont de petit volume). Le phénomène est ainsi plus insidieux que chez l’homme, chez qui on observe surtout des ruptures de plaque, un événement violent.
Les autopsies confirment largement cette hypothèse en constatant que, chez 38% des femmes décédées d’un infarctus, il n’y a pas de maladie coronarienne formellement avérée (ce qui ne se produit que dans 23% des cas chez l’homme). Les physiologistes expliquent ce fait par la présence d’une réaction inflammatoire globale sous-jacente, qui entraîne une dysfonction microvasculaire et endothéliale, avec modifications métaboliques et diminution de la perfusion. L’absence d’obstruction ne veut cependant pas dire qu’il n’y a pas de lésion. En effet, la présence d’une atteinte microvasculaire signifie aussi celle d’une résistance vasculaire et d’une augmentation des échanges sodium-hydrogène, avec stress oxydatif et insulinorésistance. Sur le plan clinique, cette ischémie microvasculaire se traduit par une diminution de la réserve coronarienne et une athérosclérose diffuse.
Il s’agit donc d’un terrain miné sur lequel la ménopause, par la chute du taux d’estrogènes qu’elle entraîne, provoque une activation du système rénine-angiotensine (avec augmentation de la pression artérielle) et une réactivation de l’ischémie myocardique, surtout lorsqu’une hypercholestérolémie est présente. La femme est également pénalisée par le fait que les symptômes de l’hypertension artérielle sont assez parallèles à ceux de la ménopause (bouffées de chaleur, sudations nocturnes, troubles du sommeil, palpitations, difficultés de concentration, céphalées, irritation,…), ce qui contribue encore plus à faire errer le diagnostic.
Il est donc urgent d’étudier de manière spécifique la maladie cardio-vasculaire de la femme. Car elle est différente de celle de l’homme, et doit donc bénéficier d’une approche adaptée, y compris sur le plan préventif: doit-elle consommer plus d’antioxydants ou de phyto-estrogènes, et bénéficier de plus d’exercice spécifique?
La grossesse et l’accouchement: une tempête cardio-vasculaire!
La Task Force de la Société Européenne de Cardiologie s’est réunie récemment afin d’analyser le risque cardiovasculaire lié à la grossesse*, un risque non négligeable puisqu’on sait que 0,2 à 4% des femmes enceintes présentent un problème cardio-vasculaire majeur et que l’infarctus est la principale cause de décès maternel au cours de la grossesse! Ce qui peut sembler logique quand on sait que la grossesse augmente significativement le volume sanguin total, ce qui augmente le travail cardiaque de 30 à 50%, essentiellement au cours des 5ème au 8ème mois, avec réduction de la pression systolique et diastolique parallèle à une réduction des résistances artérielles périphériques et une hypercoagulabilité.
Au moment du travail et de l’accouchement, la consommation en oxygène augmente, la charge cardiaque également, au même titre que la pression artérielle (au cours des contractions). Après l’accouchement, la perte de sang placentaire entraîne une augmentation de la précharge cardiaque. Le cœur souffre donc, et des mesures préventives peuvent et doivent être prises avant et en cours de la grossesse, en dépistant les anomalies cardio-vasculaires, et en insistant sur les règles hygiéno-diététiques.