Le sujet est largement débattu depuis quelques années, en particulier sur Internet. Entre confusion, interprétation et désinformation, le lait et ses dérivés sont attaqués de toutes parts. Nous faisons le point avec deux spécialistes, en abordant en détail la question d’un des sujets qui recueille le plus de commentaires: l’intolérance au lactose.
Intolérance au lactose: l’avis médical
L’intolérance au lactose ne demande pas forcément de suivi médical à long terme. Mais, en raison des nombreuses confusions qui l’entourent, un diagnostic posé par un médecin est toujours souhaitable. Entretien avec le Dr Pierre Deprez, gastroentérologue aux Cliniques Saint-Luc à Bruxelles.
Quelles sont les conséquences d’une intolérance au lactose sur la santé?
Au-delà du simple inconfort digestif, le principal risque lié à l’intolérance au lactose est le manque de calcium et des nutriments du lait. L’analyse clinique révèle généralement des apports calciques en dessous des recommandations, ce qui peut exposer, à moyen terme, à un risque d’ostéopénie et, à plus long terme, d’ostéoporose. Tout dépend, à ce sujet, des conditions de vie et de l’alimentation du patient, car remplacer les produits laitiers n’est pas nécessairement évident.
Existe-t-il des stades ou types d’intolérance au lactose?
L’intolérance au lactose est théoriquement liée à un déficit en activité de la lactase intestinale. Celle-ci peut être absente dès la naissance (alactasie congénitale), ou être temporaire et secondaire en raison d’une destruction de la muqueuse intestinale (et donc de l’absence de production de lactase), par exemple dans la Maladie de Crohn ou lors d’une infection intestinale.
Le plus souvent, l’activité de la lactase est déterminée génétiquement (alactasie primaire) et diminue dès que l’allaitement n’est plus indispensable à la croissance. L’intolérance au lactose se manifeste par des symptômes digestifs gênants, tels que le ballonnement avec la formation de gaz au niveau du gros intestin, des douleurs abdominales liées à la création d’acides gras volatils irritants et enfin, de la diarrhée osmotique liée à l’arrivée du lactose dans le côlon.
Le lien entre la malabsorption du lactose résultant de ce manque d’activité et les symptômes d’intolérance n’est pas toujours avéré. Nombreux sont ceux qui se croient intolérants au lactose sans l’être vraiment, mais le contraire est aussi vrai, beaucoup de personnes ne digèrent pas bien les produits laitiers, sans ressentir de symptômes d’intolérance. Les symptômes dépendent de la dose ingérée et si elle est fractionnée ou non.
Peut-on estimer la prévalence future de l’intolérance au lactose?
Aucun chiffre précis n’est disponible dans la littérature, car cela reste très difficile à déterminer. En Belgique, on peut estimer sa prévalence à près de 12%. à l’inverse, cela signifie donc qu’au contraire des populations asiatiques et africaines, plus de 85% des Belges absorbent correctement le lactose des produits laitiers. Le fait que la consommation de produits laitiers ait baissé ces dernières années n’a probablement pas eu d’influence sur sa prévalence, car celle-ci se construit par sélection naturelle, sur de nombreuses générations.
En revanche, les migrations de certaines ethnies (Asiatiques, Nord-Africains et Européens du Sud, par exemple) peuvent avoir une influence considérable sur la prévalence de l’intolérance au lactose en Belgique. Ces populations ont une bien moindre persistance d’activité lactasique au niveau intestinal que les populations du Nord de l’Europe. Au sein de ces patients, le diagnostic est assez simple à fournir: l’anamnèse révèle souvent l’adoption d’un régime alimentaire riche en produits laitiers.
Comment poser le diagnostic?
En premier lieu, c’est l’anamnèse du patient et la présence de symptômes qui seront évocateurs: ballonnements, flatulence et douleurs plutôt coliques, liées à la consommation de produits laitiers riches en lactose (lait, fromage blanc, glace,…).
Le diagnostic clinique comprend le test au lactose (respiratoire à l’hydrogène, et sanguin avec dosage de la glycémie), qui consiste à évaluer la présence d’hydrogène dans l’air expiré par le patient avant et après l’ingestion de 50 g lactose en solution. Plus le niveau d’hydrogène dans le souffle est élevé, moins performante est l’absorption du lactose dans l’intestin grêle et plus celui-ci est transformé en gaz dans le côlon. Le test sera le reflet de la capacité de production de lactase par l’organisme et permettra de vérifier l’intolérance au lactose par l’apparition de symptômes en fin de test.
L’activité de la lactase peut aussi être évaluée quantitativement par des prélèvements intestinaux, lors d’une endoscopie qui permet aussi de déceler une éventuelle intolérance au gluten. Ce dosage de l’activité enzymatique est réalisé en laboratoire, et ne permet pas d’affirmer pour autant qu’il existe une vraie intolérance au lactose.
Idéalement, ces tests sont indispensables pour justifier la mise en place d’un régime d’éviction totale qui s’étale généralement sur de longues périodes et qui, s’il peut faire disparaître les symptômes, complique considérablement la couverture des apports nutritionnels du patient au quotidien.
En quelle mesure le lactose est-il réellement un lien causal de symptômes digestifs?
La perception du patient est parfois exagérée sur le sujet. Beaucoup ne sont pas vraiment intolérants et beaucoup évitent aussi les produits laitiers spontanément, sans avis médical, lorsqu’ils sont confrontés à un problème digestif récurrent.
Par ailleurs, l’utilisation de lactase en comprimés et l’éviction totale des produits laitiers donnent, au travers de la littérature, des résultats très mitigés sur la symptomatologie. Dans la majorité des cas, il est conseillé de privilégier davantage un régime pauvre en lactose, en réduisant la dose quotidienne de lactose, et en la fractionnant, plutôt qu’en le supprimant totalement.
Quelle est la place du conseil diététique?
Entretien avec Karin Delanghe, responsable du département de diététique de l’UZ Brussel.
Eviter le lactose pendant 1 mois: et après?
Un patient dont le test respiratoire au lactose est positif doit réduire ou éviter le lactose, selon l’avis médical, pendant un mois. Dans la mesure où il est très important d’avoir un régime varié, des produits contenant du lactose peuvent ensuite être progressivement réintégrés à l’alimentation, en fonction du degré d’intolérance. Des listes reprenant les produits «interdits», «autorisés» et «pouvant contenir des traces de lactose» peuvent aider les patients à choisir leurs aliments. Les préférences en termes de goût jouent évidemment un rôle. En outre, les jeunes enfants semblent accepter des alternatives (produits sans lactose, alternatives végétales) plus rapidement que les adultes.
Quelles alternatives aux nutriments des produits laitiers proposer?
Le lait est considéré comme un élément essentiel d’une alimentation saine, en raison des nutriments qu’il contient. Dans notre alimentation, une carence en protéines ne surviendra pas rapidement dans le cas d’une intolérance au lactose. Et certainement pas chez les très jeunes enfants, pour lesquels la situation est plutôt inverse. Mais étant donné l’importance de cette catégorie d’aliments au quotidien, il convient de les remplacer correctement.
Les produits à faible teneur ou sans lactose et ceux à base de soja représentent de bonnes alternatives. Cependant, les «laits» de riz, d’avoine et d’amande sont clairement moins riches en protéines de haute valeur biologique et contiennent parfois des quantités non négligeables de sucres. Les fromages à pâte dure (comme le gouda), qui ne contiennent presque plus de lactose, et les produits laitiers fermentés, comme les yaourts qui présentent une activité lactasique, peuvent également couvrir une partie des besoins en protéines.
Le lait ou les produits laitiers à faible teneur en lactose ou sans lactose et les produits de soja enrichis en calcium (et parfois l’eau et les jus de fruits enrichis en calcium) représentent aussi de bonnes solutions dans le cadre d’une intolérance au lactose. Les fromages à pâte dure et les yaourts assurent également un apport satisfaisant en calcium. Le brocoli, le bok choy (chou chinois), la roquette, le cerfeuil, les épinards, le chou chinois, le cresson, les noix et les figues, entre autres, apportent une belle dose de calcium, mais compte tenu de leur origine végétale, l’absorption est moins efficace. De plus, il faudrait en manger des quantités qui, en pratique, sont souvent difficiles à atteindre.
Les produits céréaliers constituent une source importante de vitamines B1 et B2. Et de nombreux produits à base de soja sont enrichis en vitamine B2. Le zinc est présent en petites quantités dans de nombreux aliments et la viande est riche en vitamine B12. Les produits laitiers pauvres et sans lactose permettent également de compenser ce problème. Enfin, il ne faut pas non plus oublier les préparations enzymatiques à base de lactase. Celles-ci peuvent être très pratiques pour les patients, surtout dans des circonstances qui sortent du quotidien (fêtes, voyages,…). Elles existent en version liquide ou en comprimés.