Obésité, syndrome métabolique, diabète,… autant de situations associées à des lésions vasculaires précoces. Même avec des effets modestes sur la cholestérolémie, l’alimentation offre un potentiel préventif appréciable, surtout à long terme. Quelle est la place des aliments enrichis en stérols ou stanols végétaux dans la prévention cardiovasculaire?
La Société Européenne d’Athérosclérose (EAS) a élaboré un nouveau consensus d’opinions. Rencontre avec le Dr Olivier Descamps, lipidologue et interniste à l’Hôpital de Jolimont, membre du Panel du Consensus de l’EAS.
Les maladies cardiovasculaires (MCV) ont légèrement diminué ces dernières années, mais elles restent une cause majeure de mortalité. Et le pire pourrait être à venir. En effet, le développement fulgurant de l’obésité, du syndrome métabolique et du diabète dans le monde est associé à une incidence sans cesse croissante d’athérosclérose prématurée et de maladies cardiovasculaires. Actuellement, le poids des maladies cardiovasculaires dans l’escarcelle des soins de santé est estimé à 196 milliards d’euros par an, dont environ la moitié imputable à des coûts de soins de santé directs. La plupart des dépenses publiques sont liées au traitement, et pour l’EAS, il est urgent d’investir dans la prévention des MCV pour améliorer la santé des populations européennes et pour endiguer les conséquences socio-économiques.
Le poids de la prévention
L’impact de la prévention est souvent sous-estimé. Or, modifier modestement des paramètres tels que les lipides sanguins auprès d’une population à risque faible ou modéré (qui représente 80% de la population totale) engrange un gain en années de vie plus important que traiter 20% de la population présentant un risque élevé. Le bénéfice est d’autant plus grand que la prévention s’entreprend tôt. L’athérosclérose est un processus initié généralement au cours des trois premières décennies de vie, et l’abaissement du taux de cholestérol LDL pourrait repousser de façon substantielle, voire prévenir, la survenue de l’athérosclérose.
Pour maintenir le taux de LDL à des niveaux bas sans imposer de charge supplémentaire au système de soins de santé, on en arrive inévitablement au style de vie, et plus particulièrement aux habitudes alimentaires. C’est dans ce contexte que la Société Européenne d’Athérosclérose, face à l’arrivée de stratégies nutritionnelles novatrices (aliments fonctionnels), telles que l’addition de phytostérols/ stanols à des denrées alimentaires, a voulu clarifier l’intérêt de ces produits et préciser les personnes qui pourraient en bénéficier.
Vingt-deux experts européens ont examiné attentivement le sujet, parmi lesquels le Prof. Guy De Backer et le Dr Olivier Descamps pour la Belgique, pour dégager un consensus d’opinions sur la place de ces aliments dans la prise en charge des dyslipidémies et de la prévention cardiovasculaire.
Les stérols dans l’alimentation
Une alimentation typiquement occidentale apporte environ 300 mg de phytostérols par jour, ce qui est du même ordre que l’apport en cholestérol. Les principales sources sont les huiles végétales (surtout l’huile de maïs), les matières grasses à tartiner et de cuisson, les céréales et les légumes, qui fournissent 50 à 80% de l’apport quotidien en stérols végétaux. La contribution des fruits est estimée à 12%. Une alimentation végétarienne peut apporter jusqu’à 600 mg de phytostérols par jour. Mais même dans ce cas, cet apport ne peut jouer qu’un rôle modeste sur la diminution du cholestérol.
Le panel de l’EAS considère qu’il faut un apport quotidien de 2 g de stérols ou stanols végétaux pour obtenir un effet hypocholestérolémiant, ce qui ne peut être atteint qu’avec le recours à des produits enrichis. Ces derniers sont autorisés à utiliser une allégation de santé relative à leur effet hypocholestérolémiant. Précisons qu’un récent règlement européen de la Commission (718/2013) leur impose d’informer, sur l’emballage, que le produit n’est pas destiné aux personnes qui ne doivent pas contrôler leur cholestérolémie.
Cholestérol et triglycérides
Dans son consensus d’opinions, le panel de l’EAS reconnaît qu’il est prouvé que la consommation quotidienne d’aliments avec des stérols végétaux ajoutés, à raison de 2 g/jour, réduit le taux plasmatique de cholestérol LDL de 8 à 10%. Il n’y a pas de différence d’efficacité entre stérols et stanols. Les stérols/stanols interfèrent avec l’absorption du cholestérol exogène et endogène présent dans la lumière intestinale.
Fait moins connu, les triglycérides sont, eux aussi, abaissés par les phytostérols/stanols. L’amplitude de cette baisse est de 6 à 9% pour 2 g de stérols/stanols végétaux par jour, ce qui est loin d’être négligeable (les statines faisant baisser les triglycérides de 10 à 15%). Cet effet est d’autant plus appréciable que le visage des patients à risque cardiovasculaire a évolué ces dernières années avec, outre un cholestérol LDL élevé, souvent un cholestérol HDL abaissé et des triglycérides élevés.
Sécurité et incertitudes
Le panel de l’EAS a également examiné la question de la sûreté à long terme. Celle-ci avait été mise en cause il y a quelques années par certains travaux rapportant la présence de stérols dans la plaque d’athérome. Cette soi-disant «toxicité vasculaire» a depuis été balayée par d’autres travaux. Les uns montrant que les taux retrouvés dans les plaques reflètent leurs diffusions passives depuis la circulation sanguine, les autres que l’incidence de maladies cardiovasculaires n’augmentait pas avec le taux plasmatique de phytostérols. Pour le panel de l’EAS, aux quantités préconisées (à savoir 2 g/jour), aucun effet néfaste associé à la prise au long cours n’est suggéré par les évidences disponibles.
Le panel encourage cependant la mise en route d’une surveillance. Il reconnaît toutefois que des essais cliniques randomisés et contrôlés pour évaluer les bénéfices cardiovasculaires de telles interventions nécessiteraient des cohortes énormes et des durées très longues, ce qui semble peu réaliste. Elle encourage donc l’examen du bénéfice sur base de marqueurs intermédiaires, comme l’étude de la fonction endothéliale.
Dans ce panel d’opinion, on estime que ces aliments peuvent être considérés chez les individus avec un cholestérol élevé (LDL > 115 mg/dl) qui présentent un risque cardiovasculaire modéré, mais aussi ceux avec un risque faible, et qui ne rentrent pas dans les conditions pour être traités par des médicaments.
Le recours à ces aliments peut aussi s’envisager, entre autres interventions sur le style de vie, chez ceux qui sont sous traitement médicamenteux, comme les statines, et qui n’atteignent pas l’objectif pour le LDL. Dans ce cas en effet, leur addition permet une réduction du cholestérol LDL (de 8 à 10%) supérieure au doublement de la dose de statine (seulement 6% de réduction en plus). Ils peuvent être aussi indiqués chez les patients présentant une intolérance aux statines. Enfin, compte tenu de l’importance des stratégies de prévention précoce en cas d’hypercholestérolémie, le panel estime que l’usage de ces aliments peut être considéré chez les enfants atteints d’hypercholestérolémie familiale à partir de l’âge de 6 ans.
Contexte global
L’EAS attire en outre l’attention des professionnels de la santé sur le coût de ces produits, qui est de 1,3 à 4 fois plus élevé que les produits comparables non-enrichis. Dans les milieux socio-économiques défavorisés, cela peut constituer un frein à l’ingestion des quantités requises pour bénéficier de l’effet hypocholestérolémiant. Enfin, il n’est pas inutile de rappeler que le bon usage des aliments enrichis en stérols/ stanols végétaux consiste à les associer à une alimentation équilibrée comportant suffisamment de fruits et légumes (pour compenser la légère réduction de l’absorption de certains caroténoïdes), une teneur contrôlée en acides gras saturés en plus d’un niveau d’activité physique suffisant.
FIA 22_Mars 2014
Référence: Gylling H. et al., Atherosclerosis, 2014; 232: 346-360.