La sécurité bactérienne de notre alimentation est-elle acquise? R ien n’est moins sûr. S’il est vrai qu’elle n’a jamais été aussi élevée qu’à ce jour, elle n’en reste pas moins un défi quotidien. Et certains nouveaux courants, nouvelles aspirations des consommateurs peuvent avoir pour dégâts collatéraux une augmentation du risque microbien. Le point avec la microbiologiste Véronique Delcenserie (Université de Liège)*.
Alimentation et santé sont bien souvent abordées sous l’angle des relations, établies et à l’étude, avec les grandes affections chroniques, dont l’obésité. Ou encore, avec l’espoir d’en retirer un bénéfice: santé, beauté, jeunesse,… À tel point que l’on en oublierait presque que s’il est bien un pré-requis pour que l’alimentation puisse, à l’instar de la vision d’Hippocrate, être la première des médecines, c’est qu’elle doit avant tout ne pas nuire. Il est vrai que le niveau de sécurité sanitaire des aliments n’a cessé de croître au cours de ces dernières décennies. Les habitudes alimentaires et les techniques de production ont changé. De la production locale et à petite échelle, on est passé à une production industrielle intensive, avec des aliments et préparations des quatre coins du monde. L’homme moderne, souvent pressé, veut gagner du temps, et l’alimentation en offre la possibilité. Le «prêt-à-manger» se multiplie, la prise de repas à l’extérieur augmente, on voyage de plus en plus, l’offre alimentaire est des plus diversifiées. Résultat: la menace est désormais plus globale et plus diversifiée, ce qui implique que la gestion du risque doit s’adapter et devenir, elle aussi, plus globale pour assurer une sécurité alimentaire.
Menaces de masse
Autre évolution caractéristique de la menace microbienne, c’est le changement d’échelle: le développement de la restauration collective a fait grimper le risque de toxi-infection alimentaire (TIA) collective. Et la problématique est sous-évaluée, les gastro- entérites ne font pas forcément l’objet d’un prélèvement, et l’analyse doit pouvoir démontrer le lien entre l’aliment et la TIA, ce qui n’est pas évident, surtout compte tenu du temps de latence qui peut atteindre plusieurs semaines. Pour les TIA à Listeria monocytogenes, on estime que la sous-évaluation est d’un facteur 2, mais dans le cas des TIA à Campylobacter, on atteint un facteur 10.
Les risques de la naturalité
À côté des avancées dans la gestion du risque microbien de notre alimentation, certaines revendications entrent en porteà- faux avec l’objectif «sécurité maximale». Bon nombre de consommateurs aspirent à un retour au «traditionnel», veulent des aliments dépourvus de conservateurs – tout en voulant pouvoir les conserver! – ce qui peut favoriser la réapparition de certains pathogènes. C’est notamment le cas du Clostridium botulinum, responsable du redoutable botulisme, qui a fait sa réapparition dans certaines préparations artisanales. Autre dilemme, la «pression» exercée par certains objectifs nutritionnels, comme la réduction du sel: d’un côté, elle constitue un véritable enjeu de santé publique, étant donné l’influence du sodium sur la pression sanguine, mais d’un autre côté, le sel joue un rôle important dans la conservation des aliments. Bénéficier d’un jambon moins salé, tout en gardant les avantages d’une conservation aisée, sans recourir à plus de conservateurs est un véritable casse-tête. Si on réduit le sel, il faut agir sur d’autres paramètres comme le pH, l’activité de l’eau (séchage), la température de la chaîne du froid… Mais la marge de manoeuvre est limitée. Au Canada, la réduction récente de la teneur en sel du saumon fumé a favorisé la réapparition de pathogènes tels que Clostridium botulinum et Listeria monocytogenes.
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Quelques mesures prioritaires
- Lors des achats, terminer par les produits qui doivent rester au frais et ne pas traîner à les mettre au réfrigérateur.
- Bien cuire les aliments.
- Vérifier la température du frigo. La législation impose une température entre 4-7 °C, or les enquêtes montrent qu’elle est souvent proche de 10-11 °C! C’est une différence énorme propice à la multiplication des pathogènes (même pour les Listeria).
- Éviter les contaminations croisées entre le cru et le cuit. Dans le frigo, il importe de séparer les viandes qui vont être cuites, des aliments consommés tels quels. Et d’éviter les contacts cru/cuit par le biais de la vaisselle et des ustensiles.
- Ne pas laisser traîner la nourriture après cuisson, mais placer les restes au frais le plus rapidement possible.
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Les principaux acteurs de la menace microbienne
Campylobacter. Bactérie responsable de gastro-entérites caractérisées surtout par des crampes intestinales. L’infection peut entraîner des complications, comme l’apparition du syndrome de Guillain-Barré. Les aliments à risque sont les volailles (le taux de contamination atteint presque les 100%!) et, dans une moindre mesure, la viande de porc. Une cuisson adéquate permet de limiter fortement le risque de campylobactériose.
Salmonella. Elles sont responsables de gastro-entérites avec diarrhée. Plusieurs sérotypes existent, mais les plus fréquents sont Salmonella Typhimurium et S. Enteritidis, que l’on retrouve surtout dans le poulet et le porc. La législation européenne s’est durcie, en imposant leur absence totale dans la viande de poulet et les oeufs.
Listeria monocytogenes. C’est probablement la bactérie «ennemie public n°1» pour l’industrie! Elle est présente partout dans l’environnement et peut se multiplier à basse température. Elle pose de sérieux problèmes d’hygiène, en raison notamment de sa capacité à former un biofilm, par exemple sur des tables de découpe abimées. Ce biofilm est composé d’une matrice bactérienne englobée de polysaccharides et il peut persister malgré le nettoyage et la désinfection. Son temps d’incubation peut allez jusqu’à 2-3 semaines, ce qui rend difficile l’établissement du lien entre la TIA et l’aliment. Elle est particulièrement dangereuse pour les personnes âgées et immunodéprimées (méningites souvent mortelles), ainsi que pour la femme enceinte, chez qui elle peut provoquer un avortement et être responsable de septicémie chez le nouveau-né. Les aliments «à risque» sont les denrées prêtes à consommer, les aliments tranchés tels que pâté, jambon et aliments à base de lait cru, même si de nombreux accidents ces dernières années concernent davantage des produits élaborés avec du lait ayant subi un traitement thermique.
Bacillus cereus. Certaines souches de cette bactérie sporulante produisent des toxines diarrhéiques, ainsi qu’une toxine émétique thermorésistante, qui peut donc causer des gastroentérites, même après avoir cuit les aliments contaminés. Les denrées à risque sont les aliments et plats conservés à température ambiante (comme le riz cuit). La meilleure prophylaxie consiste à éviter les conditions permettant sa croissance, en respectant la chaîne du froid.
Staphylococcus aureus. Responsable de TIA survenant très rapidement (temps d’incubation: 2-4 h), elle se caractérise par des vomissements liés à sa toxine émétique. Les aliments à risque sont les plats préparés, les denrées manipulées, la crème pâtissière, etc.
Escherichia coli entérohémorragique. Cette bactérie peut être responsable de simples diarrhées, mais aussi engendrer des complications plus graves telles que le syndrome hémolytique et urémique, une atteinte rénale causée par la toxine. Les toxines ne sont produites que dans l’intestin, une fois que la bactérie est attachée à l’épithélium intestinal. La bactérie est thermosensible, ce qui rend le risque de TIA négligeable si la viande est bien cuite. À l’inverse, c’est la raison pour laquelle la viande de boeuf crue doit être déconseillée à l’enfant de moins de 5 ans, plus fragile.
Clostridium perfringens. Responsable de gastro-entérite survenant assez rapidement (dans les 10-12 h), cette bactérie est surtout incriminée dans les plats maintenus au chaud, mais à une température insuffisante, créant des conditions propices à sa multiplication.
Clostridium botulinum. Anaérobie strict, c’est, par excellence, l’agent pathogène redouté des fabricants de conserves. Le botulisme provoque une faiblesse musculaire et des difficultés respiratoires menant à une paralysie généralisée, et peut être mortel.