Dans un climat où la crainte d’être trompé par l’industrie agro-alimentaire côtoie la peur de grossir ou de ne pas manger assez bien pour préserver sa santé, le Groupe de Réflexion sur l’Obésité et le Surpoids (GROS) consacre sa 11ème rencontre annuelle aux peurs alimentaires.
On le sait, les gens ne sont pas égaux face aux aliments ou aux émotions. Odile Viltart, Docteur en biologie, a ouvert les 11èmes rencontres du GROS en présentant des résultats de recherches neurobiologiques soutenant l’hypothèse d’une différence fondamentale entre les binge eaters et les anorexiques.
Chez les premiers, des troubles de fonctionnement du circuit de récompense ont été mis en évidence. Les binge eaters seraient en quelque sorte moins réactifs au plaisir induit par la prise alimentaire, ce qui pourrait expliquer que ces personnes mangent plus que les autres pour arriver au même niveau de plaisir.
Chez les anorexiques, par contre, on a relevé une hypersensibilité au niveau du circuit de la peur associée à un excès de dopamine, ces deux points entraînant une augmentation de l’anxiété. Ceci fournit une explication tangible de la diminution drastique de leur prise alimentaire, acte à fort potentiel anxiogène.
Peur de manquer
La diététicienne Ulla Menneteau a ensuite abordé la peur de manquer, rencontrée très fréquemment chez les personnes en restriction cognitive ayant l’intention de contrôler leur alimentation pour perdre du poids ou ne pas grossir. Dans ce but, elles se privent de bon nombre de leurs aliments favoris, jugés trop énergétiques et/ou pas assez sains que pour être inclus dans leur régime.
Cette privation, réelle ou simplement programmée, est à l’origine de la peur de manquer de ces aliments et, paradoxalement, mène la personne à anticiper ce manque. Cela explique entre autres que lorsqu’elle «craque» pour un aliment qu’elle s’interdit, elle en mange de grandes quantités car elle prévoit de s’en priver ensuite pour longtemps…
Face à ces difficultés, Ulla Menneteau préconise une prise en charge de la restriction cognitive, afin de gommer les interdits alimentaires et la peur de manquer qu’ils engendrent.
Peur de grossir
C’est ensuite la peur de l’abondance et de la prise de poids pouvant en résulter qui a été abordée. Le sociologue Claude Fischler a souligné que la possibilité de choisir ses aliments est appréciée par le mangeur omnivore qu’est l’Homme, mais qu’un excès de choix possibles peut se révéler anxiogène. L’individu n’est alors plus capable de gérer un nombre de critères trop grand que pour lui permettre de se décider en toute connaissance de cause.
L’abondance implique aussi la multiplication des occasions de prise alimentaire et l’apparition de la peur de grossir chez les individus de plus en plus exposés à des aliments appétissants et aisément disponibles. Cette peur de grossir les incite à contrôler leur alimentation et à se mettre en restriction cognitive, explique Marie-Laure Thollier, diététicienne-nutritionniste.
Or, un des désavantages de cet état réside justement dans le fait qu’il peut provoquer des prises alimentaires excessives et des émotions négatives venant s’ajouter à la peur de grossir initiale… Marie-Laure Thollier conseille une prise en charge ciblée visant à traiter la restriction cognitive et à aider la personne à apaiser sa crainte de prendre des kilos hypothétiques.
Peur de l’empoisonnement
Le psychiatre Gérard Apfeldorfer a évoqué l’orthorexie, ce trouble où l’individu mène une telle quête de perfection alimentaire, guidé à la fois par une recherche de pureté et par la peur que les aliments lui causent du tort, qu’il en finit par éliminer d’innombrables aliments de son répertoire.
Et il y a bien des choses contenues dans les aliments qui suscitent l’inquiétude: additifs, contaminants, modes de production néfastes pour l’environnement… Sans parler des graisses! Le sociologue Jean-Pierre Corbeau détaille cette peur du gras, ciblant la graisse des aliments, mais concernant aussi la graisse corporelle. à l’heure où elle est montrée du doigt comme la cause de nombreux maux, il est en effet difficile de rester serein en ingérant des aliments contenant des lipides.
Le rôle angoissant des médias est pointé du doigt par Jean- Michel Lecerf, endocrinologue: ils parlent régulièrement de dangers de l’alimentation, les différentes crises alimentaires à l’appui (dioxine, vache folle, lasagnes au cheval,…)!
Les messages relayés par les médias ne s’avèrent pas constants au fil du temps, les personnes s’y fiant ne savent souvent plus sur quel pied danser. On gagnerait à communiquer davantage sur l’intérêt de la variété et du plaisir alimentaire, en modérant parallèlement la consommation et en recentrant l’individu sur ses sensations alimentaires, favorisant ainsi un contrôle interne et plus adapté de l’alimentation.
Ces émotions qui font manger
Michael Macht, Docteur en psychologie, a pour sa part abordé la question des prises alimentaires provoquées par les émotions, soulignant leur complexité. De nombreux facteurs entrent en compte, mais la capacité de régulation émotionnelle de l’individu est centrale. Face à quelqu’un qui présente une alimentation émotionnelle pathologique, source de prise de poids et/ou de souffrance psychologique significative, il faudra impérativement l’aider à développer des stratégies de régulation émotionnelle alternatives.
Marie-Carmel Detournay, infirmière psychothérapeute, rappelle que l’aliment peut rester une source de réconfort, mais que cela ne sera possible que pour celui qui ne pense pas de mal de cet aliment, c’est-à-dire un individu libéré de la restriction cognitive et de la peur de grossir.
Enfin, Sabrina Julien Sweerts, diététicienne-nutritionniste, a exposé un modèle de prise en charge des envies de manger émotionnelles, souvent associées à une impulsivité alimentaire, visant l’augmentation progressive de la tolérance émotionnelle.
Le 11ème congrès du GROS a abordé de nombreuses peurs alimentaires avec lesquelles les professionnels de la santé et de la nutrition sont souvent confrontés face à leurs patients, en y apportant un éclairage issu d’un éventail de disciplines complémentaires à la nutrition, et en proposant des solutions applicables par le professionnel averti.