Humeur, Sommeil, anxiété… le microbiote intestinal est au centre de nouvelles découvertes qui vont bien au-delà de la santé métabolique. Focus sur ces dernières découvertes qui passent par l’axe intestin-cerveau.
Depuis la découverte de l’axe intestin-cerveau et de la communication bidirectionnelle entre ces deux organes, les recherches impliquant l’intestin, son microbiote intestinal et le cerveau se multiplient. L’humeur, le sommeil, l’anxiété, la santé mentale… sont autant de domaines qui semblent passer par le microbiote intestinal. Celui-ci peut, par exemple, être impliqué dans la métabolisation de composés phénoliques qui, après transformation par le microbiote, peuvent être absorbés et exercer certains effets au niveau du cerveau. C’est ce qui a été testé dans un essai contrôlé randomisé, dans lequel les volontaires ont ingéré, pendant 6 mois, soit 25 g de cacahuètes rôties avec leur peau, soit 32 g de beurre de cacahuètes, soit 32 g de beurre pour le groupe contrôle (1). Les résultats montrent qu’avec les produits d’arachides, il y a une augmentation des composés phénoliques microbiens dans les urines, et que cette augmentation est corrélée à une amélioration de la mémoire et de l’humeur.
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Des composés qui améliorent l’humeur dans le lait maternel
Cela fait déjà longtemps que l’on a découvert que le lait maternel contenait des prébiotiques, qui expliquaient que les nouveau-nés nourris au sein avaient dans leurs selles plus de bifidobactéries que ceux recevant une préparation pour nourrisson classique. Ce qui a d’ailleurs conduit à enrichir certaines préparations pour nourrissons en oligosaccharides tels que des fructo et galacto-oligosaccharides, afin de se rapprocher des effets du lait maternel. Les prébiotiques du lait maternel sont en effet des oligosaccharides (Humain Milk Oligosaccharides ou HMOs), et plusieurs d’entre eux sont actuellement produits et commercialisés. C’est notamment le cas du 2’fucosyllactose, un composé qui a été étudié récemment, avec de l’oligofructose, dans un essai randomisé contrôlé (2). Cette étude menée en double aveugle indique que tant l’oligofructose que la combinaison oligofructose/2’fucosyllactose entrainent des effets favorables sur la composition du microbiote intestinal, tout en améliorant les tests portant sur l’évaluation de l’humeur…
Trouble d’anxiété sociale
Le trouble d’anxiété sociale ou trouble anxieux est caractérisé par la peur concernant le fait d’être exposé à certaines situations sociales durant lesquelles on est en représentation. C’est l’un des troubles anxieux les plus invalidants. Il concernerait près de 3 % des sujets au cours d’une année donnée, avec une prévalence à vie d’environ 5%. Ces taux semblent être plus élevés aux États-Unis, et les hommes sont plus touchés que les femmes. Les mécanismes sous-jacents restent cependant largement non élucidés. Compte tenu des interactions entre l’intestin et le cerveau, le microbiote intestinal est désormais vu comme un acteur possible capable de réguler à la fois le cerveau et le comportement. Et de fait, la piste semble se confirmer… En effet, une étude récente a montré que la transplantation de microbiote de personnes souffrant de trouble anxieux à des souris entraine chez les animaux une sensibilité plus marquée à la peur sociale (3).
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Un prébiotique pour améliorer le sommeil ?
Le manque de sommeil est bien identifié comme un facteur qui nuit à la santé. Il suffit de voir l’ampleur de la prescription de somnifères pour constater à quel point c’est un problème qui concerne une partie importante de la population. L’enjeu est donc de taille, et dans ce domaine encore, le microbiote pourrait bien jouer un rôle. C’est ce que suggère cette étude d’intervention portant sur l’administration de mannanes de levure, un type de fibres solubles dotées de propriétés prébiotiques (4). Des volontaires sains avec une tendance à de la constipation ont pris part à cette recherche. Les auteurs voulaient voir les effets de ces fibres prébiotiques sur la consistance des selles, mais aussi sur le sommeil. La consommation de mannanes n’a eu aucun effet sur la forme des selles, mais elle a augmenté la fréquence et le volume des selles. Les mannanes n’ont pas non plus influencé le temps d’endormissement. Par contre, elles ont accéléré l’entrée dans le stade du sommeil profond et en ont allongé la durée, ainsi que celle du temps de sommeil total. L’analyse métabolomique a permis de mettre en évidence une différence de 20 métabolites entre le groupe « mannanes » et le groupe « contrôle », avec notamment une augmentation du propionate et de l’acide gamma-aminobutyrique dans les fèces.
Agir sur le Syndrome de l’Intestin Irritable
Le Syndrome de l’Intestin Irritable (SII) fait l’objet de plusieurs décennies de recherches pour expliquer son étiologie, en vain. Jusqu’à ce que récemment, la recherche a pu montrer l’importance du rôle du microbiote intestinal et de ses interactions avec l’axe intestin-cerveau (5). Et le microbiote intestinal apparait de plus en plus comme une nouvelle cible thérapeutique, qui offre de nouvelles perspectives par rapport à l’approche actuelle qui ne traite que les symptômes. Certains probiotiques peuvent s’avérer utiles en cas de SII, même si cela dépend d’une personne à l’autre. Une nouvelle étude a été menée après de deux modèles murins reproduisant les symptômes du SII mais de deux étiologies différentes. L’objectif était d’évaluer le potentiel la bactérie Akkermansia muciniphila pasteurisée pour soulager les symptômes (6). Et les résultats , bien qu’il s’agisse d’une étude chez la souris, sont encourageants : ils indiquent que la bactérie pasteurisée réduit la douleur et l’anxiété des animaux. Il sera intéressant de déterminer les effets chez l’humain…
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Quelle assiette ? Cap sur l’alimentation équilibrée
Le microbiote intestinal se nourrit et se façonne en partie par ce que nous mangeons (et buvons). Si le pré-pro et autres « biotiques » ont un potentiel indéniable pour fournir des bénéfices santé, l’alimentation constitue le socle fondateur de la nature de ce microbiote intestinal. De nombreuses études ont déjà très clairement mis en évidence les différences dans le microbiote intestinal de personnes adoptant une alimentation équilibrée de type méditerranéen, avec une composante végétale forte, et celles avec une alimentation occidentale, riche en viande, sucres, graisses… Plus récemment, une équipe américaine (7) a montré que plus le score d’adhésion aux recommandations alimentaire (américaines) était élevé, plus le microbiote intestinal était diversifié, avec une abondance de bactéries capables de métaboliser des glucides complexes, ce qui est positif. Le pouvoir de l’alimentation équilibrée ne s’en trouve que renforcé !
Découvrir l’infographie : L’influence des « biotiques » sur le microbiote intestinal & la santé
Sources
1. Parilli-Moser I et al. J Funct Foods 2023. https://doi.org/10.1016/j.jff.2023.105746
2. Jackson P PJ et al. Am J Clin Nutr 2023. https://doi.org/10.1016/j.ajcnut.2023.08.016
3. Ritz N L et al. PNAS 2023. https://doi.org/10.1073/pnas.2308706120
4. Tanihiro R et al. Nutrients 2024 https://doi.org/10.3390/nu16010141
5. Randulff Hillestad E M et al. World J Gastroenterol 2022. DOI: 3748/wjg.v28.i4.412
6. Meynier M et al. Gut Microbes 2024 https://doi.org/10.1080/19490976.2023.2298026
7. Baldeon A D et al. J Nutr 2023. DOI:https://doi.org/10.1016/j.tjnut.2023.02.018