Le régime pauvre en FODMAPs peut s’avérer utile dans le Syndrome de l’Intestin Irritable. Mais il ne doit être mis en place qu’après avoir écarté d’autres pistes. Rencontre avec le Dr Ariane Gerkens, gastro-entérologue à Boitsfort).
« Le Syndrome de l’Intestin Irritable (SII) fait partie dans la nouvelle appellation des désordre d’ interaction de l’axe æcerveau-intestins (anciennement appelés troubles fonctionnels intestinaux) » explique le Dr Gerkens.
Bien que très fréquent, la prévalence du SII a pourtant régressé parce que sa définition a été modifiée. Les Critères de Rome, revus en 2016 (Rome IV) positionnent la douleur abdominale récurrente comme critère majeur, accompagnée de troubles du transit. L’inconfort abdominal (ballonnements, distension, flatulences, borborygmes,…) ne suffit donc plus à poser le diagnostic de SII.»
Diarrhées et/ou constipation : les sous-groupes du SII
Le SII est divisé en quatre sous-groupes qui se définissent selon la consistance des selles sur la base de l’échelle de Bristol* (voir Échelle de Bristol). On distingue les phénotypes diarrhée, constipation, mixte (diarrhée et constipation) et inclassable. Plus de 25 % des selles doivent être anormales pour entrer dans les critères du SII.
Critères de Rome IV pour le Syndrome de l’Intestin Irritable
Douleurs abdominales récurrentes, au moins 1 jour/semaine au cours des 3 derniers mois, associées à au moins deux des critères suivants :
- liées à la défécation,
- associées à un changement de fréquence des selles,
- associées à un changement de forme (aspect) des selles.
Ces critères doivent être remplis dans les 3 derniers mois et le début des symptômes doit dater d’au moins 6 mois.
Tout trouble du transit n’est donc pas forcément un SII, même en présence de douleur.
Avant de poser un diagnostic de SII, une enquête médicamenteuse approfondie est impérative, car de nombreux médicaments, et même certains compléments alimentaires, peuvent causer des troubles du transit, comme la constipation (calcium, anti-dépresseurs, dérivés opioïdes, …) ou une diarrhée chronique (magnésium, vitamine C, AINS,…).
Il faut ensuite exclure, sur base d’un bilan biologique simple (prise de sang, analyse de selles) la présence d’autres maladies : infection intestinale, maladie inflammatoire chronique intestinale, cancer des intestins, maladie cœliaque, maladie du foie ou du pancréas, etc…
Enfin, beaucoup de patientes se voient, par attribuer à tort un SII, alors qu’elles souffrent d’un trouble fonctionnel de la défécation, ou constipation terminale, secondaire à une descente du plancher pelvien, à une rectocèle (poche qui se forme à l’avant du rectum) ou encore à des efforts de poussée insuffisants ou inadéquats. Une sorte de « bouchon » de matières fécales peut alors se créer de manière récurrente dans le rectum, puis finit par être expulsé après 1 à plusieurs jours, mais est souvent suivi de diarrhées liées à l’accumulation des matières en amont déclenchant ce que je nomme un « transit en dents de scie ». En d’autres termes, une sorte de fausse diarrhée survient et est souvent à l’avant plan des plaintes tant elle peut être « explosive ». Les conseils classiques alors promulgués (riz, réduction des fibres, etc.), voire les antispasmodiques et anti-diarrhéiques prescrits aggraveront bien évidemment la situation. Dans ce cas, l’utilisation régulière de fibres solubles et surtout l’adoption d’une position adéquate pour aller à selle (accroupie), aidée par l’application d’un suppositoire effervescent peuvent permettre de réguler le transit de manière tout à fait efficace.
SII type diarrhée
Environ 30 % des patients atteints d’un SII type diarrhée présentent des diarrhées sur une malabsorption des acides biliaires, qu’il est possible de diagnostiquer par un test isotopique assez simple et heureusement accessible en Belgique (le SeCHAT test), et de traiter par la prise de médicament sans intervention diététique.
Les FODMAPs (acronyme anglais Fermentable Oligo-Di-Monosaccharides And Polyols) sont des glucides à chaine courte qui peuvent fermenter dans l’intestin, entrainant ballonnements, distension, et flatulences. L’arrivée dans le côlon de ces sucres non absorbés suite à différentes mécanismes (déficit enzymatique, déficit de certains transporteurs des sucres) peut également provoquer une diarrhée par effet osmotique. Ces sucres correspondent au lactose, fructose, fructanes, galactanes, sorbitol et mannitol, et sont contenus dans les produits laitiers, ainsi que certains fruits, légumes, légumineuses et céréales en quantité variable. À noter qu’il existe souvent un seuil, variable d’une personne à l’autre, à partir duquel des diarrhées seront déclenchées.
Régime pauvre en FODMAPs
Mis au au point par une équipe australienne en 2006, ce régime fait actuellement référence dans l’approche diététique de plusieurs troubles fonctionnels intestinaux.
Le régime est proposé comme suit : une diminution de tous les FODMAPs pendant 4 à 6 semaines, puis leur réintroduction progressive, classe par classe, ou aliment par aliment selon le sucre. Cette prise en charge doit se faire par un.e diététicien.ne expert.e. En cas de prescription de ce régime, j’oriente quasiment systématiquement mes patients en consultation de diététique.
C’est un régime compliqué !
J’attire souvent l’attention de mes patients sur « Les 3 S du régime pauvre en FODMAPs » :
- il n’est pas Simple : très restrictif, il a une influence négative sur la qualité de vie (changement des habitudes, arrêt de consommation d’aliments appréciés parfois même bénéfiques),
- il n’est pas Sain : la restriction en substrats fermentescible peut favoriser une dysbiose, et les nombreuses évictions d’aliments conduire à des carences,
- il est Socialement compliqué : c’est un régime difficile à appliquer lors de repas pris à l’extérieur, et qui peut mener à un isolement social.
En outre, le régime pauvre en FODMAPs n’est pas le seul à avoir démontré son efficacité. Il existe aussi une autre approche du SII, selon les guidelines NICE, du National Institute of Clinical Excellence au Royaume-Uni. Ce régime, basé sur le bon sens, consiste à manger à heures régulières, à limiter les repas trop copieux, les aliments gras, les alcools forts, etc…. Ces conseils se sont avérés dans certaines études comparatives tout aussi efficaces que le régime pauvre en FODMAPs.
Quand le régime FODMAPs n’est pas conseillé
Il est essentiel de bien sélectionner les personnes qui pourraient en tirer un bénéfice et éviter de le recommander à certains groupes à risques.
Je ne propose pas de régime pauvre en FODMAPs lorsqu’une personne présente un BMI inférieur à 20-21, ni à une personne âgée. Si l’observance est trop forte, il y a un risque réel de perte de carences, d’amaigrissement excessif avec perte de masse musculaire et, à plus long terme, d’ostéoporose.
Je tente aussi de détecter d’éventuels trouble du comportement alimentaire avant de vanter les effets bénéfiques de ce régime. Le SII est souvent associé à des comorbidités psychiatriques (anxiété, dépression,..) et les restrictions alimentaires peuvent aggraver ces trait psychiatriques. L’ARFID, une pathologie psychiatrique récemment décrite (Avoidance and Restrictive Food Intake Disorder), est un trouble du comportement alimentaire consistant à limiter ses ingesta par la peur et l’anxiété provoquées par la nourriture ou les conséquences qu’elle peut avoir, au cours de laquelle la prescription d’un régime pauvre en FODMAPs pourrait avoir de graves répercussions. Dans ces cas, je recommande une alimentation variée, et ne donne aucune liste d’aliments interdits comme bien souvent demandée par ces patients…
Enfin, je ne propose généralement qu’une période test de 2 semaines de régime « super-strict », suite à laquelle l’interruption du régime est proposée en l’absence de réponse, vu l’existence de non répondeurs (50% selon les études). Si le régime semble s’avérer efficace après 15 jours, il peut alors être poursuivi pour une période de 4 à 6 semaines, suite à laquelle la phase de réintroduction doit être entamée.
Certains marqueurs biologiques pourront peut-être un jour aider les praticiens à mieux sélectionner les patients qui pourront réellement profiter de ce régime (analyse de selles par exemple).
Lactose et gluten : l’importance du diagnostic
Outre le régime pauvre en FODMAPs, les régimes se focalisant sur le lactose et/ou le gluten peuvent avoir un intérêt.
En ce qui concerne le lactose, il est nécessaire d’expliquer au patient que ce ne sont pas des traces de ce sucre qui posent problème, mais des quantités assez significatives. On ciblera notamment le lait, la crème fraîche, les fromages frais et les crèmes glacées. Le beurre, les fromages à pâte dure et molle, et le yaourt pourront être consommés, et même encouragés à l’être car étant une source de vitamine D et de calcium.
En ce qui concerne le gluten, la classification des maladies liées à la sensibilité à évoluée ces dernières années. Il y a bien entendu la maladie cœliaque, d’origine auto-immune, qui nécessite une prise de sang révélant la présence d’anticorps dirigés contre le gluten, et des biopsies du petit intestin (intestin grêle) montrant une atrophie villositaire pour être diagnostiqué. Cette maladie impose l’instauration d’un régime sans gluten strict et à vie, sous peine de développer un lymphome de l’intestin grêle. Il y a aussi l’allergie au blé IgE-non médiée et IgE-médiée, avec plus spécifiquement l’allergie au blé liée à l’effort physique (une réaction qui peut être importante) pour laquelle le patient doit être bien informé de l’attitude à adopter en cas de réaction anaphylactique. Il y a enfin l’hypersensibilité au blé non cœliaque (HSBNC), non auto-immune et non allergie, liée à une hypersensibilité aux fructanes ainsi qu’à certaines protéines du blé autres que le gluten.
Il est capital de dépister la maladie cœliaque avant de proposer un régime sans gluten, tant médiatisé, et régulièrement introduit par certains nutrithérapeutes sans bilan préalable. Sous régime pauvre en gluten, la maladie cœliaque peut en effet ne pas pouvoir être diagnostiquée de manière formelle, car les indicateurs sanguins et histologiques sont en quelque sortes effacés. Un test génétique existe (HLA DQ2 DQ8) qui, s’il est négatif, permet d’exclure à près de 100% de chance que la personne n’est pas, ni ne sera jamais cœliaque. Hélas, il est assez souvent positif, ce qui ne donne aucune information, et en effet en moyenne 30% de la population générale est positive pour ce test. Il faut alors proposer une réintroduction du gluten, c.à.d. que la personne en remange à la dose de 8-10 grammes par jour pendant +/- 2 mois, pour pouvoir poser le diagnostic : cette démarche est très difficilement acceptable par ces personnes qui redoutent littéralement le blé sous toutes ses formes tant leurs symptômes digestifs se sont améliorés avec son éviction.
SII type Constipation et mixte
En cas de SII type constipation, je recommande la consommation de fruits pauvres en fructose, comme les fruits frais acidulés (agrumes) et les baies (myrtilles, framboises,…). Le kiwi est un fruit particulièrement intéressant dans cette indication. Accessible à la consommation toute l’année en Belgique, il contient, outre les fibres et l’acide ascorbique laxatif, de l’oxalate de calcium qui stimule la sécrétion de mucine et est très bénéfique au transit. Je préconise également comme encas les fruits oléagineux avec leur peau : les noisettes, les noix… Quant aux fruits séchés (raisins secs, figues, dattes), oui, mais en quantité modérée, car ils contiennent beaucoup de fructose.
Je conseille aussi largement une ingestion quotidienne de 10 à 15g/j de fibres solubles, comme le psyllium (graines ou téguments), les graines de lin ou de chia.
Dans le SII type mixte, les fibres solubles sont aussi très utiles aussi, avec une bonne tolérance. Elles agissent comme un régulateur du transit, en restructurant la selle et en la lubrifiant. Il est important de rassurer les patients que ce type de fibre est généralement très bien supporté ne donnant ni diarrhées, ni ballonnements.
Enfin, j’encourage les patients à trouver les aliments qui leur conviennent et leur font du bien, mais aussi à trouver leur « rituel défécatoire ».
Pour conclure, je parle souvent avec mes patients souffrant de SII d’un mode de vie juste « sain », ni plus, ni moins : une alimentation cuisinée et ingérée en pleine conscience, la consommation d’alcool ou de sodas de manière occasionnelle et modérée, une activité physique quotidienne de 30 à 40 minutes par jour, permettant la gestion du stress et accordant un sommeil de qualité.
En cas de régime en cours, je leur suggère de re-tenter la consommation de certains aliments considérés pour eux comme interdits depuis longtemps, afin qu’ils puissent élargir le plus possible leur régime.
Enfin, j’invite aussi mes patients à soutenir la pratique des activités qui leur plaisent et à rester en lien avec leurs groupes d’amis, leur famille, leur couple et ce malgré l’anxiété liée aux éventuels symptômes qui pourraient se produire hors de chez eux.
En quelques sortes, leur offrir la possibilité de « remettre le pied à l’étrier de la nourriture et de la vraie vie » !