En 2050, les 60 ans et plus représenteront près d’un tiers de la population européenne. si les problèmes liés aux excès caloriques continuent d’accaparer l’attention, la dénutrition, qui touche surtout les aînés, est une autre réalité souvent trop discrète de nos sociétés vieillissantes. rencontre avec le Prof. André Van Gossum, Chef de Clinique à l’Hôpital érasme.
La dénutrition est un terme souvent mal compris. Elle désigne de manière explicite un déficit d’apport qui peut être multiple (énergie, protéines, vitamines, minéraux,…) et qui a des répercussions sur la qualité de vie. Elle se manifeste le plus souvent par un déficit pondéral, et se distingue d’un autre type de malnutrition, à savoir celui causé par des excès, et dont l’obésité est la principale expression. La dénutrition peut prendre différents visages qui nécessitent des réponses adaptées. Elle peut être liée à un jeûne (avec un manque particulier de protéines), un cancer (entraînant cachexie, anorexie), à une admission aux soins intensifs, ou encore – et c’est probablement la situation la plus fréquente – à l’âge. La dénutrition ne se manifeste pas seulement par une perte de poids, c’est l’ensemble de la masse musculaire qui est mis à mal, mais surtout une perte des fonctions
Le dépistage de la dénutrition est surtout orienté vers les aspects protéino-caloriques. Toutefois, il n’existe pas vraiment d’outil qui soit officiellement reconnu. La première étape du processus est une évaluation rapide qui, si le diagnostic est positif, conduit à une évaluation plus poussée de l’état nutritionnel.
Dépister la dénutrition
Pour le groupe Dénutrition du Plan National Nutrition Santé pour la Belgique, l’évaluation du risque de dénutrition à l’hôpital peut être effectuée avec le Nutritional Risk Screening-2002, qui comprend une étape de dépistage et une évaluation de l’état nutritionnel ou du risque de dénutrition. Il est utilisé comme référence pour les patients hospitalisés. Par contre, il n’est pas validé chez le patient gériatrique, raison pour laquelle, chez les patients soignés dans un service gériatrique, le groupe d’experts propose le Malnutrition Universal Screening Tool (MUST) et le Mini Nutritional Assessment (MNA) comme premiers choix, suivis par le NRS-2002. En maisons de repos et maisons de repos et de soins, une technique simple est préférée à une technique plus lourde qui se heurterait à de nombreux obstacles tels que le manque de connaissance, de temps, de moyens et de motivation. Pour cette raison, le MNA est retenu comme premier choix, notamment parce qu’il a été développé et validé spécifiquement chez les patients gériatriques, devant le MUST qui représente la deuxième option.
Pour les soins de première ligne ou les soins à domicile, le choix du groupe d’experts se porte sur la version courte du MNA (le MNA-SF), et, pour les patients plus jeunes, le MUST est jugé plus adapté.
Evaluer l’état nutritionnel
L’évaluation de l’état nutritionnel est réalisée par un médecin, un(e) diététicien(ne) ou un(e) infirmier(e) spécialisé en nutrition ayant de l’expertise dans ce domaine. Elle repose sur des outils tels que l’évaluation subjective globale, des tests sanguins ou la force musculaire, mais aucune n’est parfaite.
Le groupe d’expert préconise l’évaluation globale du patient ou SGA (Subjective Global Assessement), basée sur un questionnaire qui reprend l’histoire et l’examen clinique, et dont les paramètres les plus importants sont la perte de poids, la présence d’oedème et l’évaluation clinique de la masse musculaire. En pratique, le critère le plus important est l’évolution du poids: on considère que le patient est à risque de dénutrition s’il a perdu 10% de son poids au cours de 6 mois, ou 5% au cours d’un mois. Le BMI est également utilisé, mais il manque de précision et est de plus en plus remis en cause. À titre d’exemple, le BMI moyen des patients hospitalisés est de 25… Le mieux serait de pouvoir évaluer de manière spécifique la masse maigre et la masse grasse, mais ce n’est actuellement pas réalisable en routine. Outre les critères anthropométriques, l’évaluation subjective du patient permet d’établir un score reflétant les ingestats.
Des causes multiples
Les chemins qui mènent à la dénutrition sont nombreux et, bien souvent, s’entremêlent. En première ligne, il y a des apports insuffisants, qui peuvent être causés par des problèmes de mobilité ou d’autonomie, des difficultés économiques, des problèmes de dentition, de déglutition, ou de l’anorexie liée à certains traitements médicamenteux. La réduction de l’absorption intestinale est une autre cause, qui surgit par exemple en présence d’insuffisance pancréatique, de gastrectomie, de situations post-chirurgicales dont la chirurgie bariatrique. L’augmentation des dépenses énergétiques, rencontrées par exemple en cas d’inflammation chronique, de situations aigües ou aux soins intensifs, peut aussi précipiter une dénutrition. De nombreux facteurs sociaux peuvent également intervenir, comme l’isolement, la dépression, la précarité. Citons également les interférences causées par certains médicaments sur la prise alimentaire, et l’hospitalisation. Enfin, il ne faut pas négliger une autre cause émergente de dénutrition: les faux régimes.
Faux régimes
La dénutrition peut être précipitée par une réponse alimentaire inadaptée dans de nombreuses situations. Cela peut être lié à l’état des connaissances (ou à la méconnaissance), comme le fait de croire qu’il faut restreindre l’apport en protéines chez un patient cirrhotique, alors qu’il a des besoins protéiques accrus. Ou encore l’instauration d’un régime pauvre en protéines chez un insuffisant rénal avant dialyse. De nombreuses intolérances digestives, pour lesquelles des IgG ont été testés, conduisent à la suppression d’un éventail parfois très large de denrées, et cela de manière totalement injustifiée. On ne compte plus les «faux» coeliaques qui suppriment toute source de gluten, et les pseudo intolérants au lactose qui fuient tout produit laitier. C’est un phénomène nouveau et il est souvent très difficile au praticien d’expliquer le caractère injustifié de certains régimes.
L’appétit sous influence
Le manque d’appétit joue un rôle important dans la dénutrition. Il est à mettre en rapport avec les nombreuses interactions qui surviennent entre le tube digestif et l’hypothalamus, une zone du cerveau particulièrement impliquée dans l’appétit et la satiété. Différents mécanismes peuvent intervenir, par exemple la sécrétion de cytokines ou de certaines hormones chez le patient cancéreux, qui vont inhiber le centre de l’appétit. Ou encore la sécrétion du TNF ou cachectine en cas d’inflammation chronique. L’anorexie peut également être associée à la dépression, et plus particulièrement à son traitement médicamenteux. Chez le sujet âgé, le vieillissement du tube digestif et de ses performances entraîne également des modifications de la sécrétion de certaines hormones gastro-intestinales, comme la ghréline qui joue un rôle orexigène important.
Compléter sans remplacer
Face à la dénutrition, l’intervention repose avant tout sur un dépistage précoce. Il s’agit aussi de considérer la ou les causes de la dénutrition (âge, pathologie, prise de médicament, dentition,…). On procède ensuite à une évaluation des apports alimentaires, avant de mettre en place une diététique adéquate. Des compléments nutritionnels oraux peuvent éventuellement compléter la ration, et cela en fonction des mesures prises à la base. Leur utilisation se justifie essentiellement chez les patients qui, malgré les conseils diététiques et les mesures logistiques mises en place, n’arrivent pas à atteindre les objectifs nutritionnels. Il importe cependant de bien expliquer que l’intérêt des compléments nutritionnels est de venir en complément, et non en remplacement des autres aliments. À noter que la Belgique est un des rares pays d’Europe où ces compléments ne sont pas remboursés. Il existe cependant une évolution politique plutôt favorable dans la prise en considération de la malnutrition, notamment dans le cadre du Plan National Nutrition et Santé Belge qui y consacre un groupe de travail et qui a contribué à l’implémentation du dépistage systématique.
Source : PNNS-B, Recommandations par le groupe d’experts, scientifiques Dénutrition du Plan National Nutrition, Santé pour la Belgique. www.health.belgium.be