Depuis fin 2014, chaque client dans un restaurant est en droit d’être informé sur la présence ou non d’un ou de plusieurs des 14 allergènes dans un plat. Cette information est-elle fiable? Pas si sûr, comme nous l’explique Dirk Lemaître, diététicien nutritionniste qui s’est spécialisé dans l’HACCP et les allergènes.
PAROLE A L’EXPERT: Dirk Lemaître, Diététicien nutritionniste
La prévalence des hypersensibilités alimentaires fait l’objet de données peu précises, mais elle se situerait globalement entre 1 et 2% de l’ensemble de la population adulte. Ce qui est sûr, c’est que le phénomène est en croissance, ce qui trouve plusieurs explications, dont le fait de vivre dans un monde de plus en plus hygiénique, la généralisation de la vaccination et la mondialisation.
Cette dernière y contribue de manière plus évidente, car elle nous expose à un nombre croissant d’allergènes au travers d’une diversité grandissante de produits venus des quatre coins du monde. C’est dans le but d’informer les consommateurs, que l’Europe a rendu obligatoire depuis le 13 décembre 2014, la mention des 14 «allergènes» les plus courants sur toutes les denrées préemballées. Mais la réglementation s’étend aussi à tout établissement où des denrées non préemballées sont proposées: restaurants, boulangeries, boucheries, crèches, friteries, maisons de repos… Tout établissement qui délivre de la nourriture doit être en mesure de fournir l’information concernant la présence ou non d’un ou plusieurs des 14 allergènes.
Y a-t-il du céleri dans la sauce?
La réglementation européenne laisse aux Etats membres une certaine marge de manœuvre, quant à la forme sous laquelle cette information doit être donnée. En Belgique, cela ne doit pas forcément être écrit, mais peut se faire oralement, à la demande.
Il faut par contre stipuler par écrit où et comment on peut obtenir des renseignements sur les allergènes. L’information dispensée oralement doit pouvoir être donnée sans délai. De plus, l’établissement doit disposer d’une procédure interne pour expliquer comment il s’y prend pour pouvoir répondre à la demande.
Ainsi, si un client demande au serveur s’il y a du céleri dans la sauce, celui-ci doit pouvoir se renseigner auprès du Chef ou responsable, qui, selon les produits utilisés (par exemple un fond de sauce), doit à son tour rechercher l’information pour y répondre. La réglementation impose que le personnel de l’établissement soit formé sur les allergènes et intolérances alimentaires, et cela, y compris pour le personnel temporaire ou les stagiaires… La façon dont laquelle cette formation doit être donnée n’est cependant pas précisée. Enfin, le client doit pouvoir obtenir cette information de façon gratuite.
Les 1 à 2% de la population allergique doivent pouvoir disposer de 100% des informations.
Les allergies alimentaires peuvent avoir des conséquences graves (choc anaphylactique pouvant même être létal). La responsabilité en cas d’accident incombe à celui qui n’a pas donné l’information correcte. Par exemple, le Chef de cuisine s’il a dit qu’il n’y avait pas de lupin dans sa préparation alors qu’il y en avait, ou le producteur s’il a vendu un produit préemballé qui ne déclare pas la présence d’un ou de plusieurs des 14 allergènes obligatoires.
Allergie ou intolérance?
Pour le grand public, la confusion entre allergie et intolérance est souvent de mise. Tous les deux font partie des hypersensibilités alimentaires, mais avec des mécanismes différents: l’allergie implique une réaction immunitaire, contrairement à l’intolérance (lactose, sulfites…).
Dans les allergies, on distingue celles qui sont IgE médiée (par exemple, pour les protéines du lait) de celles qui ne le sont pas (comme pour le gluten). Les symptômes sont cependant les mêmes (peau, bronches, intestin, cardiovasculaire,…). En tout, on parle de 14 «allergènes», même si tous ne sont pas impliqués dans une réaction immunitaire.
Bientôt plus d’allergènes à déclarer?
Pourquoi la liste se cantonne-t-elle à 14 allergènes? C’est le reflet d’une situation à un moment donné, mais il y a fort à parier que cette liste évoluera. Parmi les 14 allergènes, 8 sont responsables à eux seuls de 90% des allergies alimentaires. Il s’agit du lait, des noix, des crustacés, du poisson, des œufs, des cacahuètes, du soja et du blé.
Précisons que pour le poisson et les crustacés, il ne faut pas donner la nature du poisson ou du crustacé. Mais pour les noix, il faut pouvoir préciser de quelle noix il s’agit. Et pour le gluten, il faut pouvoir dire de quel grain il s’agit.
Mais la liste devrait croître, souligne Dirk Lemaître. On se dirige vers une liste qui comporterait 20 à 21 allergènes, et qui inclurait notamment la tomate, la fraise et la pomme. Ces aliments peuvent être tout aussi importants pour ceux qui sont allergiques. En fait, il y a des centaines d’allergènes potentiels, la question est donc de savoir jusqu’où il faut réglementer.
Attention à la contamination croisée
Les règles d’hygiène attirent l’attention, à juste titre, sur les risques inhérents à une contamination croisée en matière de micro-organismes. Par exemple, des coquilles d’œufs qui entrent en contact avec une denrée qui ne serait pas cuite. Et il en va de même pour les allergènes.
Ainsi, un panier comprenant des sandwiches divers peut provoquer une allergie à un allergène qui, à l’origine, lors de la confection, ne se trouvait pas dans le sandwich. Le travail en cuisine peut avoir été bien fait, mais le risque apparaitra plus tard. Pour le contrer, il faut donc prévoir de séparer tous les sandwiches…
Les allergies croisées (latex-banane, pomme-bouleau,…) peuvent aussi rendre plus compliquée la traque des allergènes. Elles s’expliquent par une similitude des allergènes. Une allergie aux œufs peut très bien donner une allergie à la volaille, une allergie aux noisettes peut s’élargir à la tomate.
Les coulisses de la béarnaise
La réglementation sur les allergènes rend le métier de cuisinier nettement plus compliqué, puisqu’il doit connaitre bien mieux les ingrédients qu’il utilise. Si une véritable sauce béarnaise ne comporte pas d’amidon, de nombreuses «béarnaises» sortent d’un sachet qui contient ce type de liant. Mais de quel amidon s’agit-il? De pomme de terre, de riz? Si la question est posée au Chef pendant le coup de feu, il est illusoire de penser qu’il va tout laisser tomber pour traquer l’information sur l’emballage, explique Dirk Lemaître. Et même si le fournisseur change d’amidon pour la préparation de sa recette, encore faut-il que cette information suive et soit recensée, accessible et connue…
Il y a des centaines d’allergènes potentiels, la question est de savoir jusqu’où il faut réglementer.
Il faudrait donc que de telles informations soient mises une fois pour toutes dans un système. Un système dynamique, qui évolue au gré de chaque modification de recette. Mais un système qui permette d’obtenir des informations sur ‘tous’ les ingrédients, il n’y en a actuellement pas, poursuit le diététicien, ni en Belgique, ni en Europe…
Quel système de données?
Il existe bien des systèmes tels que GS1, qui intègre plus de 30.000 références, mais malgré le nombre impressionnant de données rassemblées, il ne règle pas le problème de la déclaration de tous les allergènes. En effet, il ne concerne que les aliments préemballés, et ne comporte aucun produit générique non transformé, comme la viande, les œufs, le pain, le céleri, les poires… De plus, son coût d’environ 1.000e par an est dissuasif pour la plupart des petits établissements.
Une piste qui paraît logique serait de coupler les données sur les allergènes aux données nutritionnelles qui, elles, existent bel et bien sous forme de base de données.
En Belgique, c’est l’asbl NUBEL qui gère ces données, mais la mission de NUBEL telle qu’elle a été définie – et qui se limite aux nutriments – ne permet pas de l’étendre aux allergènes! Une piste serait que l’AFSCA, qui contrôle entre autres l’existence de procédure en matière d’allergènes, demande au Ministère de la Santé publique de mettre une telle base de données sur pied, par l’intermédiaire de NUBEL. Alors seulement, la déclaration des allergènes dans la restauration pourrait devenir fiable…