Dans ce nouveau climat économique et écologique, la tendance d’un retour aux sources s’est bel et bien amorcée. Consommateurs, producteurs et législateurs disposent d’une occasion unique d’en tirer profit chacun à leur façon.
L’offre de denrées alimentaires suit l’évolution de la société, on l’évoquait déjà dans notre dernier numéro. À l’heure actuelle, la tendance en matière d’alimentation est résolument à un retour aux sources. Dans ce nouveau climat économique, notre alimentation se doit d’être authentique, naturelle et bonne pour la santé. Les futurologues du secteur alimentaire confirment ce phénomène: il ne s’agit pas d’une tendance en tant que telle, mais d’un mouvement inscrit dans un ensemble plus vaste, qui est vécu de manière inconsciente mais qui nous attire.
Notre article se penchait sur l’évolution des produits allégés et sur leurs éventuels avantages pour le consommateur final1. Cette tendance se manifeste également dans l’offre alimentaire au sens large, mais quelles sont l’ampleur et les conséquences de cet engouement?
Un retour aux sources
Les consommateurs et les producteurs sont sous le charme du «retour à la nature», mais il convient d’analyser l’interprétation exacte de cette notion par chaque partie. Du point de vue du consommateur, un produit peut être «(plus) naturel» pour de nombreuses raisons: il peut être (plus) authentique, non synthétique, (plus) sûr, sans ou avec le strict minimum d’additifs ou d’autres adjuvants, produit de manière artisanale, (plus) sain, végétarien, biologique, moins transformé, durable,… Une chose est sûre: le terme «naturel» englobe de nombreuses définitions pour le consommateur.
Du côté du producteur, il existe un plus grand consensus baptisé Clean Label. Dans un premier temps, l’industrie a demandé au législateur de remplacer tous les noms d’additifs à connotation trop chimique ou difficiles à prononcer par des noms à la consonance plus acceptable. Aux États-Unis, par exemple, la carboxyméthylcellulose (CMC), un épaississant fréquemment utilisé, est à présent mieux connue sous le nom de «gomme de cellulose»2.
À l’heure actuelle, les listes d’ingrédients sont non seulement détaillées autant que possible, mais également raccourcies si possible. Certains ingrédients synthétiques ou au nom douteux sont remplacés par des ingrédients d’origine naturelle (par exemple, de l’extrait de romarin3).
Les antioxydants issus de petits fruits colorés ou d’herbes, qui prolongent la durée de conservation ou donnent de la couleur, sont désormais bien ancrés dans la liste des ingrédients. De toute évidence, l’avenir tend les bras à la prochaine génération d’additifs.
De manière générale, il s’avère difficile de remplacer les ingrédients un à un. La plupart du temps, il convient donc d’opter pour des reformulations. Parfois, un ingrédient peut être accepté du point de vue de la technologie alimentaire et porter un nom qui sonne plutôt bien, tout en étant desservi par son origine. Contraints d’envisager d’autres solutions que le rouge carmin (E120, extrait naturel d’un insecte), d’importants producteurs alimentaires se sont tournés vers des colorants issus de légumes colorés, tels que la tomate, la carotte violette ou la betterave4.
Légalement «naturel»
Aujourd’hui, environ 1 nouveau produit alimentaire sur 4 porte, en vertu du Clean Label, la mention «naturel» sur son emballage pour l’une ou l’autre raison2. Sur quelle base légale convient-il de s’appuyer pour utiliser ce qualificatif?
En Belgique, les producteurs de denrées alimentaires opèrent dans un cadre légal européen vaste et complexe, qui soumet les produits et les emballages à des normes strictes. À l’heure actuelle, les ingrédients sont sélectionnés avec davantage de soin et certains d’entre eux sont écartés si possible. Néanmoins, l’utilisation d’additifs (édulcorants, colorants, conservateurs, antioxydants, stabilisants et émulsifiants), d’enzymes et d’arômes est fréquente, bien que fortement réglementée5. Une recherche sur le terme «naturel» révèle, par exemple, que les «substances aromatisantes ou les préparations aromatisantes ne peuvent être déclarées ‘naturelles’ sur l’étiquetage, que si elles respectent certains critères garantissant que le consommateur n’est pas induit en erreur»6.
La législation en matière d’étiquetage s’est de plus en plus affinée afin d’offrir aux consommateurs une plus grande sécurité alimentaire et davantage de transparence. Les producteurs sont libres de mentionner des informations complémentaires sur les emballages, à condition que le consommateur ne soit pas induit en erreur7,8. Ce critère est systématiquement soulevé dans les discussions sur les conditions spécifiques à remplir pour mentionner l’adjectif «naturel» sur l’emballage mais, pour l’heure, ne pas induire le consommateur en erreur constitue la seule condition citée.
Tirer rapidement parti d’une tendance?
Dès lors, la notion de «naturel» risque d’être diluée. D’autres mots tels que «pur» ou les expressions «source d’antioxydants» et «sans colorants artificiels» utilisées fréquemment, peuvent donner la même impression de naturel et, à terme, éventuellement faire perdre tout son sens à ce mot. Cependant, l’élaboration d’un produit et de son emballage représente sans aucun doute un exercice d’équilibre toujours plus difficile entre ce qui est possible et ce qui est permis. La barre est donc mise très haut et le lancement d’un produit «naturel» ou non sur le marché n’est pas une mince affaire. En outre, une pléthore de slogans ou d’ingrédients nuit à la transparence, ce qui lèse tant le vendeur que l’acheteur.
Du «naturel» à tout prix
Quel est véritablement le coût du «naturel»? Les colorants naturels, par exemple, sont généralement (parfois jusqu’à dix fois) plus chers. En outre, il arrive que ce type de matières premières ne se trouve pas aussi facilement que les ingrédients synthétiques. Les matières naturelles sont également moins faciles à manipuler en termes de goût. Enfin, elles présentent parfois un problème de stabilité. Certains processus de technologie alimentaire offrent déjà ou sont en passe d’offrir une solution. Mais il convient peut-être de se demander si, à la suite de ces manipulations supplémentaires, les produits sont encore véritablement naturels. Le prix de revient a encore augmenté9. Il est donc nécessaire de se demander si le consommateur est prêt à payer cette différence de prix. En fin de compte, la durabilité est essentielle.
Lorsque seule la peau d’un fruit est utilisée pour, par exemple, en extraire une substance, l’utilisation du reste du fruit à des fins utiles témoigne d’un esprit d’entreprise durable. À cet égard, la FEVIA prône un développement durable de la production alimentaire. La prise de conscience va croissante, mais cette question ne revêt pas la même importance pour tous les entrepreneurs10.
Outre cette demande de durabilité, il convient de ne pas faire l’impasse sur les questions de santé. Fabriqués «à l’ancienne», certains produits naturels sont caractérisés par une forte teneur en matières grasses, un taux de sucres traditionnel ou une production artisanale. Dès lors, ils ne sont pas moins gras, ni moins sucrés, ni moins salés. La santé est souvent sacrifiée sur l’autel de l’authenticité. Il importe de fournir davantage de clarté sur ce point.
Enfin, il est possible que certains groupes de la population, pour des raisons religieuses ou d’autres convictions, n’acceptent pas la présence d’ingrédients (ou, du moins, de certains ingrédients) d’origine animale dans leur nourriture, même si le processus de production respecte les normes européennes.
«Naturel», oui mais…
D’aucuns pourraient avancer que tous les produits ne sont pas concernés par cette tendance. Cette attitude peut cependant témoigner d’une certaine naïveté étant donné qu’un produit tel que l’huile de friture est également manipulé de manière à être plus sain. En général, la crédibilité d’un produit «naturel» augmente en fonction de la catégorie alimentaire de celui-ci. Des catégories de produits typiques telles que les produits laitiers, les boissons destinées aux sportifs, les jus de fruits ou autres jus et certains en-cas sont souvent spontanément considérées comme saines. Les producteurs appliquant une communication transparente et des prix justifiés rencontrent le plus de succès. La transparence sur la composition réelle du produit et un guide de consommation (par exemple, sur les meilleures conditions de conservation du produit) constituent une excellente manière pour le producteur de communiquer avec le consommateur.
Le «naturel», une occasion à saisir
La nouvelle réalité économique favorise le retour au naturel. Bien qu’il soit probable que plusieurs parties prenantes tirent facilement profit de cette tendance, il est de plus en plus admis que le message véhiculé par un produit naturel puisse aller plus loin.
Le nouvel environnement écologique pousse de nombreux consommateurs à se tourner vers les producteurs qui adoptent une approche durable. La religion et les autres convictions ne facilitent pas la communication, mais ce serait une occasion manquée de ne pas oeuvrer sérieusement en faveur des produits «naturels», afin de répondre aux besoins du consommateur final. Par ailleurs, ce dernier doit également faire preuve d’un certain engagement, en utilisant de manière durable les denrées disponibles et en essayant de préserver sa santé. Le producteur et le consommateur ont à gagner d’une communication transparente. Enfin, le législateur peut également apporter sa pierre à l’édifice en définissant un cadre légal adéquat.
Références:
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Ameloot N., «Et si moins était égal à plus?», in: Food in Action, numéro 19, juin-août 2013, pp. 20-23.
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Schultz H., «Natural preservatives pack efficacy, marketing punch», www.FoodNavigator-USA.com, 21 juin 2013.
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Directive 2010/69/UE.
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Scott-Thomas C., «Cleaner than clean: when natural is not enough», www.FoodNavigator-USA.com, 17 juin 2013.
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Commission européenne, additifs alimentaires, enzymes et arômes, législation citée, http://ec.europa.eu.
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Règlement (CE) n° 1334/2008.
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Directive 2000/13/CE.
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Commission européenne, Addition of Vitamins & Minerals, http://ec.europa.eu.
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Watson E., «Natural colors: in conversation with LycoRed on why tomatoes trump bugs and beets», www.FoodNavigator-USA.com, 14 juin 2013.
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Rapport de suivi du premier rapport sur le développement durable de l’industrie alimentaire belge, FEVIA, décembre 2012.
FIA 20_Septembre 2013