L’anorexie ne se résume pas à une quête extrême de la minceur pour correspondre à l’idéal de beauté plébiscité par les médias. Derrière ce trouble se cache un mal-être plus profond notamment une faible estime de soi, une incapacité à exprimer ses émotions, un rejet de la sexualité,…
L’anorexie est définie par l’American Psychiatric Association* comme un trouble psychiatrique rassemblant les critères suivants: refus de maintenir un poids normal pour l’âge et la taille, crainte de prendre du poids, image altérée de son propre corps, aménorrhée en l’absence de contraception orale.
Ces critères de diagnostic ne constituent cependant que la partie visible de l’iceberg et ne traduisent pas la grande détresse des personnes souffrant d’anorexie. Cette pathologie rassemble des tableaux cliniques très différents, et son origine est clairement plurifactorielle.
Fragilité et auto-entretien
La notion de sensibilité individuelle à l’anorexie est importante: différents facteurs sociétaux, individuels et familiaux vont créer un climat qui facilitera le développement de l’anorexie chez les individus les plus fragiles, à la suite d’événements traumatisants ou de facteurs précipitants. Le trouble du comportement alimentaire devient alors pour ces personnes un moyen de gérer un traumatisme, des conflits ou un mal-être généré par la puberté.
Ce trouble peut ensuite devenir chronique: la restriction alimentaire a des conséquences physiologiques, psychologiques et sociales (conflits familiaux, isolement) difficiles à gérer. La personne se replie dès lors encore plus sur elle-même et se réfugie dans son trouble alimentaire.
Contexte socio-culturel
Les préjugés liés au surpoids ainsi que la valorisation culturelle des régimes et de la minceur constituent une trame de fond favorable aux troubles du comportement alimentaire. Le contrôle de son poids est associé à des compétences personnelles et professionnelles, à une force de caractère, à la séduction,… La minceur promet santé et réussite sociale. Pas étonnant dès lors que des personnes ayant peu d’estime d’elles-mêmes et manquant d’assurance soient tentées de mincir pour s’affirmer et se valoriser, sans passer par des conflits interpersonnels.
Les personnes plus vulnérables au développement de l’anorexie se caractérisent par un perfectionnisme marqué, raison pour laquelle elles ne vont pas se contenter d’atteindre leur objectif de minceur à moitié. Elles ressentiront le besoin d’être plus mince que leurs pairs pour prouver leur valeur.
Prédispositions individuelles
Certaines caractéristiques personnelles constituent un risque de développer un trouble du comportement alimentaire. Ainsi, le fait d’être en surpoids ou obèse dans l’enfance et d’avoir subi des moqueries peut être à l’origine d’une perte de confiance en soi, que l’on tentera de regagner en maîtrisant son poids.
De manière générale, tout défaut d’estime de soi ou toute dévalorisation, surtout appuyés par des adultes de référence comme les parents ou la famille proche, peut fragiliser un enfant et le rendre plus susceptible de développer un de ces troubles. Certains traits de personnalité sont également liés à un risque accru d’en développer.
Ainsi, les anorexiques sont très souvent perfectionnistes et présentent un besoin excessif de tout contrôler, y compris leurs émotions. Le contrôle émotionnel est d’ailleurs un but inconscient du contrôle du poids.
Les anorexiques sont à ce point focalisées sur leur poids, que les émotions qu’elles pourraient ressentir passent au second plan. Elles ont également un grand besoin d’être approuvées, elles évitent les conflits, ceux-ci pouvant provoquer un rejet par les proches. L’amaigrissement extrême constitue alors un moyen indirect de traduire la désapprobation ou la colère.
Evénements précipitants
On peut fréquemment identifier des événements chez les anorexiques, qui précipitent le développement du trouble, un peu comme la goutte d’eau ferait déborder le vase. La puberté en est un: les changements corporels rapides qui s’opèrent marquent le passage à l’âge adulte. L’adolescente peut mal vivre ce moment pour une multitude de raisons: la possibilité de séduire qui effraie, le malaise d’un père proche qui la voit devenir une femme et s’éloigne d’elle, le moment symbolique où elle devra prendre son indépendance et faire ses propres choix, ce qu’elle refuse de faire ou ce que sa famille lui interdit,…
La maigreur diminuera l’apparition des caractères sexuels secondaires. Le contrôle du poids, une fois placé au centre de la vie, lui permettra de se soustraire aux émotions et aux conflits intérieurs propres à cette période. Les jeunes femmes anorexiques ont souvent été victimes d’abus sexuels pendant l’enfance. Dans ce dernier cas, l’anorexie est probablement liée à l’évitement de la séduction et la peur de l’intimité.
Climat familial
Même s’il ne sert à rien d’accuser la famille d’une jeune fille anorexique, force est de constater qu’il existe des familles où ce genre de trouble se développe plus fréquemment. Il peut s’agir de parents qui cherchent à contrôler, laissent peu de place au désir de leur enfant et s’opposent à son indépendance. Mais il peut aussi s’agir de familles où les rôles sont mal définis, les enfants étant parfois amenés à assumer trop vite des responsabilités qui incombent aux adultes. Par ailleurs, on découvre dans certaines familles l’existence de conflits cachés, l’expression des émotions étant découragée par leurs membres. D’autres familles ont un mode de fonctionnement très rigide, avec des valeurs centrées sur l’excellence, la compétition et le contrôle du corps.
Face aux multiples causes possibles de l’anorexie, et aux profondes intrications qu’elles peuvent opérer entre elles, il ne s’agit pas de croire que l’anorexie fait partie d’une crise d’adolescence et se résoudra d’elle-même! Au contraire, prendre ce trouble en charge dès le début augmente les chances de guérison. Et vu l’impact du fonctionnement familial, une thérapie familiale peut s’avérer nécessaire.