La question du dépistage systématique du risque de mort subite fait débat: effet de mode ou nécessité? En cause le fait que, même s’il était introduit dans notre pays, il ne parviendrait pas à éliminer le risque. C’est dans ce contexte, et tenant compte que la médecine est un art et non une science, que le Conseil Supérieur de la Santé a introduit une motion en faveur du dépistage (examen clinique avec antécédents) chez tous les athlètes de moins de 35 ans, tous les 2 ans, avec ECG tous les 4 ans. Faut-il pour autant étendre cette motion à tous les adolescents? Résumé d’un débat organisé par la Société Belge de Cardiologie, à l’occasion de son 32ème meeting annuel*.
Il y a les ‘pour’, et Pedro Brugada, cardiologue à l’UZ VUB est incontestablement pour. Il y a les ‘contre’, ce qui est le cas de Hans Van Brabandt au nom du KCE (Kennis Centrum/Centre d’Excellence) et du CEBAM (Centre Belge pour l’Evidence-Based Medicine). Et les arguments de l’un et de l’autre reposent sur des bases statistiques irréfutables, ce qui ne facilite pas la prise de décision.
Responsabilité individuelle engagée
On sait que l’incidence de la mort subite avant 35 ans est de 2,3 à 26/100.000 personnes-années(1), «ce qui n’est pas beaucoup, et trop à la fois», souligne Pedro Brugada. «D’autant que le taux de survie, lorsqu’une réanimation cardiopulmonaire a pu être réalisée, n’est que de 27%.» Quant à la responsabilité de l’effort, elle n’est que partielle, retenue dans 1 cas sur 3 en moyenne, et le plus souvent après 25 ans, âge auquel les décès sont surtout de cause coronarienne. «Ce n’est pas parce que les adolescents sont peu concernés qu’il faut évacuer le problème… Parmi les survivants, près de 40% conservent des dégâts neurologiques non négligeables, même lorsque l’arrêt cardiaque s’est produit dans les meilleures conditions en cours d’hospitalisation.»
Logiquement, la question essentielle est alors de savoir si on peut reconnaître les individus à risque et si un dépistage est faisable sur le plan pratique.
Un premier élément de réponse est fourni par les analyses médico-économiques qui montrent que le coût d’une année de vie sauvée, grâce à la pratique d’un ECG systématique, est inférieur à la limite acceptée par les économistes, ce qui est loin d’être le cas en l’absence d’ECG.
C’est dans ce contexte que de nombreux pays ont inclus le dépistage systématique chez l’enfant (Grèce, Allemagne) et l’adolescent ou le jeune adulte (Italie) en conformité avec les recommandations de la Société Européenne de Cardiologie. En Belgique par contre, seules certaines fédérations sportives imposent cet examen: la Ligue Vélocipédique Belge, par exemple.
Le jeu en vaut la chandelle
«Et pourtant, le jeu en vaut la chandelle», explique Pedro Brugada qui fait état d’une étude portant sur 256 footballeurs âgés de 12 ans. «Après examen physique attentif et anamnèse poussée, l’étude a permis de détecter des anomalies potentiellement létales chez 11 d’entre eux.»
Quant à la question de savoir s’il faut effectuer un dépistage chez tous les adolescents, partant du constat que 2 accidents sur 3 surviennent chez des non-sportifs, elle fait encore débat. Même si l’on sait qu’un questionnaire élaboré accompagné d’un examen physique attentif et d’une interprétation automatisée de l’ECG permettrait de dépister un grand nombre de cas. «Basta, s’il y a des faux positifs», poursuit Brugada, «cela vaut nettement mieux que des faux négatifs…»
Mais cette systématisation n’aura de valeur que lorsqu’elle sera intégrée dans un programme plus large de prévention, incluant la reconnaissance des symptômes d’alerte, l’apprentissage des gestes de réanimation cardio-pulmonaire et le respect des règles hygiéno-diététiques de base.
Tenir compte de l’Evidence-Based Medicine
Bien qu’ils paraissent péremptoires, ces arguments n’émeuvent que très peu Hans Van Brabandt. En s’appuyant sur d’autres études épidémiologiques, il stigmatise le risque de réaliser nombre d’examens complémentaires inutiles (sans compter l’angoisse générée par la possibilité du risque), tout en ne permettant d’éviter ‘que’ 2 décès par an dans notre pays(2). Ce sont ces arguments qui ont conduit récemment l’American Heart Association à faire passer la recommandation d’un ECG systématique du grade IIb (peut être recommandé) au stade III (n’est pas interdite). Outre les arguments économiques, ce sont des arguments statistiques qui sont venus soutenir ultérieurement cette recommandation.
Une récente méta-analyse a montré en effet qu’il existe 399 cas de faux positifs pour 1 cas avéré, tandis qu’on ne rencontre que 7 faux négatifs pour 1.000.000 d’enfants dépistés(3). «En d’autres termes, il faut dépister 2.624 enfants pour détecter 1 cas», souligne Hans Van Brabandt. Enfin, il n’est pas prouvé selon lui que le dépistage systématique ait réduit la fréquence des morts subites chez les jeunes athlètes…
Que faire alors, dans un cadre où les autorités publiques, ameutées par les médias, doivent prendre des décisions alors que l’on sait que toutes les causes d’arrêt cardiaque ne peuvent être prévenues?
Pour y répondre, il n’est pas sans intérêt de se référer à une série de publications récemment émises par un groupe d’experts qui ont établi ce que l’on appelle, les ‘critères de Seattle’(4). Ces derniers rappellent la nécessité d’un protocole uniforme, pour étudier correctement le bénéfice, à la condition que le dépistage soit réalisé sur une base collective et prospective.
Et le Prof. Heinz Heidbuchel (KULeuven), qui présidait la session, de conclure: «En attendant, on ne peut que souscrire aux décisions qui se basent sur le principe de précaution. Car il vaut mieux en faire trop que de perdre une vie, surtout lorsqu’il s’agit d’un enfant, d’un adolescent ou d’un jeune adulte.»
FIA 18_mars 2013.
Références: * 32nd annual scientific meeting of the Belgian Society of Cardiology, Brussels, 31 january – 1st february 2013. 1. Meyer L. et al., Circulation, 2012 Sep 11; 126(11): 1363-72. 2. Marijon E. et al., Circulation, 2011 Aug 9; 124(6): 672-81. 3. Rodday A. et al., Pediatrics, 2012 Apr; 129(4): e999-1010. 4. Drezner J. et al., Br J Sports Med., 2013 Feb; 47(3): 122-4.