Principal constituant des préparations pour nourrisson et des laits de suite, les protéines du lait de vache sont impliquées dans le développement d’un certain nombre de réactions allergiques. Le seul et unique traitement consiste en l’éviction de l’allergène, tout en continuant à fournir au bébé les nutriments requis pour assurer une croissance et un développement harmonieux. Quelles sont les différentes approches à préconiser ou à éviter? Nous avons rencontré le Dr. Elisabeth De Greef, gastro-pédiatre à l’UZ Brussel, et Isabelle Harpigny, diététicienne pédiatrique et professeur à l’Institut Paul Lambin (Haute École Léonard de Vinci).
L’allaitement maternel constitue le premier choix en matière d’alimentation du nourrisson et il confère, en autres avantages, une moindre prédisposition à développer une allergie aux protéines du lait de vache (APLV). Mais lorsque celui-ci n’est pas possible, une APLV peut se manifester soit rapidement après l’ingestion du biberon, soit plusieurs jours après son introduction. Son incidence, qui varie selon les études en raison de la difficulté du diagnostic, se situerait entre 2 et 6%1, avec une prévalence particulièrement élevée durant la première année. C’est sans aucun doute l’allergie la plus fréquente chez le nourrisson. La présence de symptômes suggérant une telle réaction défavorable est cependant encore nettement plus importante, puisqu’elle concerne jusqu’à 15% des enfants2.
La puce à l’oreille
La plupart des enfants concernés par l’APLV développent des symptômes au cours du premier mois de vie, voire de la première semaine après l’introduction de protéines de lait de vache1. Les symptômes cliniques se manifestent essentiellement au niveau du tractus gastro-intestinal (vomissement, reflux, diarrhée, constipation), de la peau (dermatite, eczéma, urticaire), du tractus broncho-pulmonaire (respiration sifflante, rhume des foins, asthme) et comportemental (cris, agitations, apathie), avec un possible retard de croissance.
Une allergie, deux mécanismes
Contrairement à l’intolérance au lactose, avec laquelle elle fait l’objet d’une certaine confusion auprès du grand public, l’APLV implique une réaction immunitaire. Dans environ 85% des cas, il s’agit d’une réaction médiée par des IgE, où les symptômes apparaissent très rapidement, de quelques minutes à une heure après la provocation. Mais l’APLV peut aussi ne pas être associée aux IgE – ce qui complique d’ailleurs son diagnostic puisque la simple mesure des IgE ne permet pas d’écarter une APLV. Les mécanismes immunopathologiques de cette forme sont nettement moins bien compris3. Dans ce cas, il s’agit d’une réaction entre les lymphocytes T et l’allergène, et les symptômes apparaissent généralement après 48 heures ou plus. Cette dernière forme est plus rare chez le nourrisson, mais c’est elle que l’on retrouve généralement dans les cas d’APLV chez l’adulte.
Supprimer sans priver
À défaut de connaître un véritable traitement, la meilleure solution recommandée en cas d’APLV est l’éviction de la protéine causale. Et comme dans tout régime d’éviction, mais encore plus particulièrement chez le nourrisson, toute la difficulté consiste à supprimer le coupable, tout en continuant à répondre aux besoins de manière à assurer une croissance et un développement harmonieux.
Parmi les alternatives existantes, il existe des formules à base d’hydrolysats extensifs de protéines de lait, de protéines de soja ou encore d’acides aminés. Plus récemment, l’apparition d’hydrolysats extensifs de protéines de riz permet d’élargir les options thérapeutiques. Tour d’horizon des avantages et des inconvénients des options thérapeutiques, de ce qui est recommandable ou pas, avec l’interview de nos deux experts.
Il y a peu d’options face à une allergie aux protéines de lait de vache. Interview du Dr. Elisabeth De Greef, gastro-pédiatre à l’UZ Brussel (www.pedigastro.com)
Que connait-on sur les facteurs qui prédisposent à une APLV?
En général, le risque d’allergie est déterminé par la combinaison des facteurs génétiques, environnementaux et de l’âge, de la durée et du mode d’exposition à l’allergène. Pour l’allergie aux protéines de lait de vache, la prédisposition familiale en cas d’atopie du côté d’un ou des deux parents, augmente le risque de façon significative. Les facteurs environnementaux spécifiques pour l’APLV restent à déterminer. L’alimentation dans les premiers mois de vie peut fortement influencer le développement d’APLV chez les nourrissons. Ainsi, l’allaitement maternel est protecteur pour le développement d’APLV.
Comment diagnostique-t-on l’allergie aux protéines du lait de vache chez le nourrisson?
Il y a de nombreux symptômes qui permettent de suspecter une APLV, mais encore faut-il pouvoir établir un diagnostic clair. Or, chez les nourrissons, nous ne disposons pas actuellement de test 100% fiable capable d’objectiver sur base de tests cutanés ou de prélèvements sanguins, une APLV. Il y a beaucoup de faux négatifs. En cas de suspicion, la meilleure manière d’être fixée, c’est de supprimer les protéines de lait de vache pendant 2 à 4 semaines, de voir la disparition des symptômes, puis de les réintroduire pour voir si les symptômes reviennent. Ce test, appelé «open challenge», est standard pour le diagnostic de l’APLV chez les nourrissons. Il peut confirmer la présence d’APLV de façon objective et permet d’éviter le recours à des diètes qui ne seraient pas nécessaires.
Quelles sont les solutions existantes?
En cas d’APLV, les hydrolysats partiels, qui sont utilisés à titre préventif, ne sont plus suffisants et il faut recourir à des hydrolysats plus poussés ou extensifs. Il s’agit généralement d’hydrolysats de caséine ou de lactosérum avec un poids moléculaire supérieur à 8 kDa dans <1%. De telles formules sont tolérées par environ 90% des enfants chez qui une APLV a été diagnostiquée. Si l’enfant réagit malgré tout, il faudra recourir à une diète élémentaire.
Quels sont les obstacles rencontrés?
Plus les formules sont hydrolysées, plus elles acquièrent un goût amer. C’est donc un des inconvénients des formules à base d’hydrolysats extensifs, et plus encore des diètes élémentaires. Il arrive que l’enfant refuse de manger et que nous devions envisager des alternatives – comme l’ajout d’un peu d’aspartame pour adoucir le goût – afin que le bébé puisse être alimenté. Un autre inconvénient à ne pas négliger est le coût relativement élevé que ces laits thérapeutiques peuvent engendrer pour les parents.
Le soja constitue-t-il une alternative en cas d’APLV?
Contrairement à ce qui se disait autrefois, ce n’est désormais plus le cas. Comme le précise l’ESPGHAN, les formules à base de soja n’ont aucun rôle dans la prévention des maladies allergiques et elles ne devraient pas être utilisées chez les enfants présentant une allergie alimentaire au cours des 6 premiers mois de vie. Il faut savoir que 30 à 50 % des enfants allergiques aux protéines du lait de vache le sont aussi aux protéines du soja4. La position prudente de l’ESPGHAN s’explique également par mesure de précaution vis-à-vis de certains constituants, comme les phytates, les phyto-estrogènes et l’aluminium, et dont les effets à long terme restent incertains.
Y a-t-il d’autres alternatives à venir?
Une évolution importante dans ce domaine est le recours à une autre protéine, celle du riz sous forme d’hydrolysat (avec un enrichissement en lysine et en thréonine afin de correspondre aux exigences en terme de profil en acides aminés). Une telle formule présente un avantage au niveau du coût et du goût. Elle est déjà utilisée avec succès dans d’autres pays, et elle fait l’objet d’une étude multicentrique chez nous afin de soutenir la mise sur le marché.
Attention aux fausses alternatives! Interview de Isabelle Harpigny, diététicienne pédiatrique, Institut Paul Lambin (Bruxelles)
Quels sont premiers critères auxquels doivent répondre une formule en cas d’allergie aux protéines du lait de vache?
Quelle que soit l’origine de la protéine utilisée, la première condition est de répondre aux exigences légales en la matière, telles que fixées dans la réglementation européenne et reprises dans la réglementation nationale, pour ce qui est de la composition nutritionnelle, en particulier pour la teneur en chaque acide aminé indispensable.
Quelle est la place du goût dans le choix des laits?
Le goût de l’alimentation devient plus déterminant au fur et à mesure que l’enfant grandit. Toutefois, la perception du goût est très différente si on se place du côté de l’enfant ou du parent. Ce qui est jugé très mauvais pour la maman ne l’est pas forcément pour l’enfant. Les formules à base d’hydrolysats extensifs ont cependant un goût nettement moins agréable que les formules classiques, ce qui peut poser un problème pour l’enfant, voire pour la maman…
Les laits d’autres espèces animales que la vache constituent-ils une alternative en cas d’APLV?
Certaines mamans abandonnent le lait prescrit par le pédiatre pour différentes raisons, notamment du coût élevé des hydrolysats poussés, ou parce qu’elles veulent à tout prix des aliments «bio» ou convenant à un régime végétarien, ou encore parce qu’on les positionne comme une alternative en cas d’allergie aux protéines du lait de vache. C’est par exemple le cas de laits de chèvre ou de brebis, qui font pourtant l’objet d’une allergie croisée aux protéines du lait de vache dans près de 90% des cas, et ne constituent donc pas une solution.
Qu’en est-il des «laits» végétaux?
Les jus végétaux («laits» de soja, de riz ou d’amandes) ont la cote auprès d’un nombre croissant de mamans, mais ils ne sont pas non plus une alternative en cas d’APLV. Ces «laits» ne peuvent en aucun cas se substituer à une préparation pour nourrisson ou à un lait de suite, leur composition n’étant pas du tout adaptée aux besoins du nourrisson. Il faut dire que dans certains cas, il y a de quoi tomber dans le panneau. Ainsi, on peut trouver dans les rayons de certains magasins des «laits» d’amande dont la présentation (sous forme de poudre, dans des boîtes qui représentent un nourrisson et un biberon) induit clairement en erreur, car elle suggère que cela répond aux besoins du nourrisson, alors que le produit n’est pas du tout adapté: déficit en lipides, trop de phosphore, et on peut s’interroger sur la biodisponibilité du calcium incorporé sous forme de «poudre de corail».
Ces jus végétaux ne peuvent pas être comparés aux formules pour nourrissons végétaux à base de soja ou de riz, ces derniers répondants aux besoins du nourrisson.
Les professionnels de l’alimentation de la petite enfance ont un rôle à jouer pour attirer l’attention des parents sur l’importance de suivre la prescription du pédiatre plutôt que d’opérer soi-même à un changement pour le moins hasardeux susceptible d’avoir des conséquences sur le développement du jeune enfant.
Propos recueillis par Nicolas Guggenbühl
- Host A., Ann Allergy Asthma Immunol., 2002; 89(6 Suppl 1):33-7.
- Meyer R. et al., J Farm Health Care, 2008; 18(1): 27-30.
- Ross G. et al., J Am Coll Nutr, 2005, vol. 24, no. suppl 6582S-591S.
- ESPGHAN, 2006, JPGN 42: 352Y361.